À qui appartient la presse ?

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Le Forum des Images organisait en octobre un cycle de conférences et projections sur le thème "Qui fait l'info ?". Parmi les rencontres, j'ai été particulièrement intéressée par la table-ronde "À qui appartient la presse ?"

 

Je relève quelques idées.

La situation de la presse française est inquiétante. Aujourd'hui, celle-ci est fortement dépendante d'intérêts étrangers à l'information.

Intérêts économiques, d'abord. Tous les grands quotidiens nationaux, à l'exception de deux d'entre eux (La Croix propriété des Assomptionnistes, et Le Canard enchaîné qui appartient à ses propres journalistes), appartiennent aujourd'hui à des groupes (industriels) dont l'information n'est pas le "coeur de métier". En outre, ces groupes sont souvent liés à la commande publique (ex. Dassault), ce qui pose à soi tout seul bien des questions.

De plus, la presse française est largement dépendante (les intervenants parlent même d'addiction) des aides publiques : en 2011, elles ont représenté 10 % du chiffre d'affaires du secteur de la presse, et même 20 % du CA dans la presse quotidienne. Cet argent est principalement (42 %source) constitué d'aides à la diffusion (papier, donc...), et quand on ajoute que jusqu'à ces dernières années il était versé dans l'opacité quasi totale, on peut légitimement s'inquiéter de cette utilisation qui est faite des deniers publics...

Un intervenant soulignait en outre ce paradoxe : le contrôle par des grands groupes industriels n'a pas entraîné pour autant une meilleure gestion. Dans l'ensemble, les grands titres nationaux n'ont pas vu venir la révolution du numérique, celui-ci ayant été traité comme un canal de diffusion supplémentaire alors qu'il change, pour les lecteurs, la manière de s'informer, et pour les journalistes, la manière de travailler.

Au final, c'est l'échec de la France à constituer des grands groupes d'information qui se révèle aujourd'hui. De la France, car la situation est différente ailleurs, notamment en Allemagne (Voir cette synthèse du Sénat au sujet des aides publiques à la presse en Europe : http://www.senat.fr/lc/lc136/lc1360.html).

Cette évolution, les journalistes n'ont rien fait pour l'enrayer. Les intervenants de la table-ronde se sont livrés à une attaque en règle de leur attitude, conjuguant le mépris pour les choses de l'argent d'une culture journalistique construite sur la notion de presse d'opinion (le journaliste se vit comme un curé en chaire), l'attachement à des privilèges sociaux, et de manière générale l'ignorance profonde des enjeux de gestion d'entreprise. À l'étranger, les rédactions sont plus fortement impliquées dans le succès économique du journal (selon les intervenants).

S'ajoute à cela un effondrement global de la qualité journalistique ; un intervenant fait remarquer que le renvoi des "vieux" journalistes, porteurs d'une certaine éthique dans la qualité de leur travail, et disposant d'un carnet d'adresses fourni, a un effet direct sur la rédaction. Un petit jeune coûte moins cher, certes, mais il n'aura pas les meilleurs contacts pour vérifier l'information.

Cette régression, Jean-Marie Colombani alors directeur du Monde l'a entérinée par cette incroyable phrase rapportée par un intervenant : "Nous allons passer d'un journalisme de révélation à un journalisme de validation". Beuve-Méry a dû faire un triple salchow piqué dans sa tombe en entendant cela.

Les intervenants reviennent ensuite sur les liens avec le monde politique, en notant que les intérêts (des politiques et de la presse) se croisent mais ne sont pas forcément convergents. Il n'en reste pas moins que ces liens sont étroits, particulièrement en province : les élus locaux invitent régulièrement les représentants de la presse régionale, fortement dépendante (économiquement) du marché des annonces légales, des passations de marchés locaux, et des publicités (locales). De sorte que concrètement, les politiques locaux contrôlent la PQR. Au niveau national, la présence de Xavier Niel au capital du *Monde *n'est évidemment pas innocente, au moment du déploiement de la fibre en France...

Dans la discussion qui a suivi, la remarque a été faite que les titres qui s'en sortent le mieux sont clairement ceux qui apportent une originalité éditoriale, soit dans une qualité d'information reconnue (notamment La Croix), soit dans un parti-pris de ligne éditoriale (satirique par exemple, dans le cas du Canard), et ceux qui investissent dans l'investigation (cas des affaires récemment révélées par Médiapart).

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