Catégorie : Lectures

"Ceux qui ne lisent pas de livres n'ont qu'une seule vie, les pauvres : la leur."

(Umberto Eco)

Le silence de l'agneau

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Un passage en librairie il y a quelques semaines m'a fait tomber sur le livre de Matthieu Poupart, Le silence de l'agneau, sur lequel j'avais lu plusieurs réactions plutôt positives. Le propos me paraissait prometteur. Le livre me laisse mitigée.

Rappelons l'origine et l'intention de ce livre. Dans le rapport de la CIASE, les auteurs pointaient quelques uns des facteurs qui avaient favorisé les abus et qui autorisaient le terme "systémique" employé par eux. D'une part, soulignaient-ils, l'enseignement de l’Église catholique juge plus grave une relation homosexuelle entre deux adultes consentants qu'une agression sexuelle. D'autre part, le rapport suggérait que les agressions sexuelles ne devraient pas relever du sixième commandement (manquement à la chasteté), mais du cinquième commandement (meurtre). Autre problème, l'insistance de l’Église sur la miséricorde pour le coupable conduit à minorer la souffrance de la victime.

Le sous-titre du livre pose donc la question : la morale catholique favorise-t-elle la violence sexuelle ? Pour y répondre, Matthieu Poupart analyse différents documents, et plusieurs témoignages de victimes viennent ponctuer et nourrir la réflexion.

Pour commencer j'ai été (désagréablement) surprise que l'auteur ne soit pas réellement présenté sur la quatrième de couverture. On saura seulement qu'il est engagé auprès de victimes d'abus et membre du collectif Agir pour notre Église. Cela ne dit pas grand'chose de son parcours, de sa situation et de sa formation (en théologie morale en particulier). Dans les interviews que l'on peut trouver de lui sur Internet, il est présenté comme "chercheur", mais on ne sait pas en quoi.

Vient ensuite la question des sources utilisées. Il n'existe pas d'ouvrage qui rassemble l'enseignement de l’Église sur la morale sexuelle (comme le Compendium de la Doctrine sociale de l'Église par exemple). Il faut donc constituer un corpus de textes. Et le problème, c'est que l'auteur ne justifie pas sa sélection : nulle part il n'explicite les critères qui lui ont fait retenir tel auteur ou tel texte.

Or il me semble que cet ensemble manque de cohérence et, pour une part, de pertinence. On se trouve face à des supports divers (et de degrés d'autorité bien différents) et dont l'analyse est elle aussi inégale. En vérité, on ne sait pas très bien ce que l'auteur a voulu faire : il se défend (dans une interview récente) d'avoir voulu faire un livre de théologie, quoiqu'il propose tout de même une analyse d'extraits de Saint Augustin, Saint Thomas d'Aquin ou Jean-Paul II, sans qu'on sache bien quelle connaissance il a de leur oeuvre.

Mais, affichant l'intention d'étudier "la pastorale" de l'Eglise, l'auteur retient différents supports dont on peut penser qu'il les juge représentatifs. Pour autant, les choix montrent plutôt une connaissance partielle, et biaisée par les réseaux sociaux, de cette "pastorale". En témoigne le traitement réservé à une conférence de Pierre-Hervé Grosjean, décortiquée dans les moindres détails. Or, je n'ai jamais entendu personne (dans la vraie vie) qui se réfère au Padreblog. Son audience me parait assez faible en dehors d'un certain milieu catholique très connecté, propre aux aumôneries étudiantes de quelques grandes métropoles. C'est encore plus vrai concernant les manuels d'éducation affective dont il est question dans le premier chapitre. En 13 ans d'enseignement dans l'enseignement catholique (sous contrat), je n'ai jamais vu ni entendu parler de ces manuels dans les établissements que je connais ou dont je peux avoir des échos. Je ne dis pas qu'ils n'existent pas : j'en ai - moi aussi - vu des photos dans des threads accusateurs sur Twitter. Mais l'utilisation de ces publications me parait, là encore, limitée à quelques milieux spécifiques. Les réseaux sociaux ont donné à leurs détracteurs une caisse de résonance disproportionnée par rapport à leur audience réelle. Honnêtement, je ne comprends pas l'importance que Matthieu Poupart leur donne.

Le travail sur les extraits bibliques, notamment l'histoire de Tamar ou Abram face à Pharaon, est un peu plus convaincant, et en tout cas certainement original. Presque frustrant : il mériterait en fait un livre à lui tout seul, qui non seulement analyserait les passages bibliques concernés mais aussi l'usage qui en a été fait au cours de l'histoire de la théologie morale. Un corpus d'extraits bibliques ne serait pas exhaustif mais il aurait au moins une cohérence intrinsèque.

Les derniers chapitres sur la persistance d'une culture du silence dans l'Eglise sont plutôt convaincants aussi. Sur ce point, il est plus évident que Matthieu Poupart a "des billes", comme en témoignent les extraits de témoignages de victimes longuement cités.

La conclusion, quant à elle, est à mon avis la meilleure partie de l'ouvrage. La thèse défendue est que ce n'est pas la morale catholique dans son ensemble qui porte à la violence sexuelle, mais que des éléments toxiques y demeurent qui donnent aux agresseurs des justifications ou des excuses dont ils savent (ab)user.

On pourrait élargir l'étude en approfondissant la dimension historique : travailler sur ce qui a fait évoluer l'enseignement moral de l’Église, au point que des prêtres en arrivent à condamner davantage la victime de viol que le violeur. Des pistes sont à creuser. Par exemple, je pense au rôle des grandes "hérésies" (catharisme, protestantisme, jansénisme) qui ont influencé (d'une façon ou d'une autre) le discours moral(isateur) de l'Eglise, ou aux circonstances dans lesquelles Napoléon Ier rétablit l’Église en France (le clergé endosse alors en partie le rôle d'une police des mœurs bourgeoises et patriarcales : l'exaltation de la virginité féminine y tire une bonne part de ses racines).

Un autre angle mort que je regrette concerne l'enseignement dispensé aux séminaristes, à peine évoqué. Il aurait été intéressant de pousser la porte de quelques séminaires pour travailler sur ce qui est enseigné aux séminaristes (sur le sujet), et ce qu'ils en retiennent. Il me semble que c'est une clé du problème, parce que c'est que se forge le discours moral que les fidèles entendent effectivement. Un prêtre est un homme célibataire formé au milieu d'autres hommes célibataires par d'autres hommes célibataires, qui eux-mêmes ont été formés au milieu d'autres hommes célibataires par d'autres hommes célibataires, etc. C'est une véritable endogamie intellectuelle, creuset de bien des dérives (comment tant de prêtres en sont-ils arrivés à croire, par exemple, que "les enfants (abusés) oublient" ce qu'ils ont subi, sinon parce qu'ils n'ont jamais été formés correctement à la psychologie de l'enfant ?). Je ne dis pas qu'il faut des prêtres femmes, mariés ou pères de famille ; je dis qu'il faut davantage de femmes, d'hommes mariés ou pères de famille dans le corps enseignant qui forme les prêtres. La pastorale ne pourra qu'y gagner.

Ces dernières réflexions dépassent sans doute l'intention de Matthieu Poupart, mais il aurait été à propos d'approfondir l'analyse sur la formation des prêtres.

Finalement, ce livre laisse une impression compliquée à exprimer, comme en témoigne la difficulté que j'ai eue à rédiger cet article. Plusieurs pistes sont à peine explorées et la pertinence de certains choix est discutable. Pour autant, quelques phrases particulièrement fortes montrent de sa part une finesse d'analyse qu'il sera intéressant de retrouver à l'avenir.

Pour aller plus loin :

Christian Bobin est mort

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Portrait de Christian Bobin par Vermeer&Velazquez — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=100463553 Il est des auteurs dont le verbe, tellement ciselé qu'il en a l'air presque anodin, est si puissant qu'une seule phrase suffit à saturer votre capacité d'absorption.

Christian Bobin est de ceux-là.

C'est tardivement que j'ai ouvert un de ses livres, en tombant sur La Lumière du monde dans la bibliothèque d'un monastère. Je ne l'ai même jamais fini, parce qu'il est impossible à lire d'une seule traite. Il faut laisser à l'esprit le temps de la percolation.

Je crois vraiment qu'il en est de certains livres comme d'une personne vivante : on vit avec eux une véritable rencontre, parce qu'ils tombent juste, parce qu'ils expriment ce dont on a besoin, parce qu'on se sent soudain un peu moins seul dans l'expérience humaine.

Christian Bobin est mort, le ciel est un peu plus sombre ce soir.

Ne ratez pas l'occasion de rencontrer l'un de ses livres.

L'histoire de Jérusalem en bande dessinée

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Le pari était audacieux : retracer l'histoire de Jérusalem, depuis les premiers temps de l'occupation du site jusqu'à nos jours, en bande dessinée.

Ayant une fascination particulière pour cette ville hors du commun, je ne pouvais pas manquer ce rendez-vous. Aux Rendez-Vous de l'Histoire, il nous avait été impossible d'acheter le livre en avant-première lors de la présentation par Vincent Lemire, car tous les exemplaires avaient été vendus sur le Salon du Livre. J'attendais donc avec une certaine impatience sa sortie en librairie.

Sur le fond, toutes les promesses sont tenues. Le texte, rédigé par Vincent Lemire qui fait largement référence sur le sujet, est précis, aussi complet qu'il est possible, et réussit le délicat exercice de la neutralité dans un domaine si facilement explosif. Tous les dialogues sont des citations directes des sources primaires dont l'historien est évidemment familier, et systématiquement référencées (ce qui est presque un peu fatigant parfois). On retrouve la richesse d'un précédent ouvrage de l'auteur, paru chez Flammarion en 2016 (Jérusalem, histoire d'une ville-monde). Ici un olivier sert de narrateur, qui donne une relative unité au récit. Sur ce plan-là, c'est une vraie réussite.

Je dois cependant dire que je regrette assez fortement le dessin, dont le style détonne un peu dans ce projet. Je crois n'avoir rien lu qui soit dessiné par Christophe Gaultier, et autant le dire franchement : je ne suis pas fan de ce style de dessin. J'en reconnais l'efficacité, mais je suis mal à l'aise avec cette esthétique. Ce jugement est certes subjectif, mais je crois pouvoir défendre l'idée que ce style ne correspond pas au projet, parce qu'il est trop marqué, trop personnel. D'une certaine façon, le dessin fait penser à celui de Guy Delisle ; mais ses Chroniques de Jérusalem sont un récit autobiographique, qui s'assume donc subjectif. Il n'est alors pas dérangeant que le trait soit personnel. Dans le cas de l'Histoire de Jérusalem, où le récit est impersonnel, universitaire, j'aurais vraiment préféré un style plus classique, quasiment du Jacques Martin. Sur un texte aussi académique, il fallait un dessin qui le soit aussi.

Pour cette raison, je suis, pour ma part, un peu déçue.

L'art délicat de l'orientation

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Choisis un travail que tu aimes, et tu n'auras pas à travailler un seul jour de ta vie. Vous connaissez certainement cette phrase qu'on prête à Confucius (mais comme l'a justement dit Abraham Lincoln : le problème avec les citations sur Internet, c'est qu'on n'est jamais sûr de leur authenticité). Qu'elle soit ou non authentique, elle connaît un certain succès de nos jours, car elle colle bien avec la mode contemporaine du développement personnel.

Elle est vraie en un sens, mais n'aide pas forcément des élèves qui n'ont pas, tous, une claire idée du genre de travail qu'ils pourront aimer.

Il y a quelques temps, je suis tombée sur la vidéo d'une conférence TEDx de Benjamin Todd, dont le titre a retenu mon attention, parce qu'il prend un peu le contrepied du cliché habituel : To find work you love, don't follow your passion. Je vous conseille de la regarder si possible, mais je vais ci-dessous en résumer la substantifique moelle, pour expliciter la raison pour laquelle j'en parle. C'est que le raisonnement tenu par le conférencier colle assez bien au propos d'un livre qui a récemment rejoint ma bibliothèque : Ta vie est une mission, par Marguerite Chevreul, aux très recommandables éditions Emmanuel.

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Souffrance des enfants, douleur des adultes

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Il y a quelques jours Konbini diffusait sur les réseaux sociaux le témoignage d'Anne Ratier, expliquant comment, en 1987, elle avait "offert la mort" (ce sont ses mots) à son fils âgé de 3 ans, lourdement polyhandicapé suite à un retard d'oxygénation au moment de l'accouchement. Si son discours n'est pas directement militant, il n'est pas difficile de voir, dans ce genre de témoignage compassionnel, une intention prosélyte certaine. L'objectif est toujours le même : rendre l'euthanasie acceptable, parce que la mort serait préférable à certaines vies.

Si d'autres l'ont fait avec intelligence, je ne peux manquer de réagir, car j'ai été touchée d'un peu plus près que la moyenne par cette question (Dieu merci, elle concerne en réalité un petit nombre de cas). Ma filleule était atteinte d'une maladie génétique orpheline qui s'est déclarée quelques mois après sa naissance. Un truc trop rare pour avoir été formellement identifié. Un problème de connexion entre le cerveau et les muscles ; aucun membre n'était paralysé, mais aucun mouvement n'était volontaire ou même contrôlé. Incapable de se tenir assise, elle ne s'exprimait qu'en riant ou en pleurant. Je vous passe les effets secondaires, comme le squelette qui se déforme à cause de la croissance des os qui ne sont pas tenus correctement par les muscles qui ne se développent pas : corset, souffrances, chirurgie...

Elle est morte peu avant son neuvième anniversaire, dans son sommeil. Son cœur, fatigué d'être le seul à fonctionner à peu près correctement dans tout ce bordel, a tout simplement décidé de lâcher l'affaire.

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