Catégorie : Spi

Un ancien slogan pour le Denier disait : "Il y a une Église dans ma vie". Et dans mon cas, elle occupe pas mal de place, en fait.

Le silence de l'agneau

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Un passage en librairie il y a quelques semaines m'a fait tomber sur le livre de Matthieu Poupart, Le silence de l'agneau, sur lequel j'avais lu plusieurs réactions plutôt positives. Le propos me paraissait prometteur. Le livre me laisse mitigée.

Rappelons l'origine et l'intention de ce livre. Dans le rapport de la CIASE, les auteurs pointaient quelques uns des facteurs qui avaient favorisé les abus et qui autorisaient le terme "systémique" employé par eux. D'une part, soulignaient-ils, l'enseignement de l’Église catholique juge plus grave une relation homosexuelle entre deux adultes consentants qu'une agression sexuelle. D'autre part, le rapport suggérait que les agressions sexuelles ne devraient pas relever du sixième commandement (manquement à la chasteté), mais du cinquième commandement (meurtre). Autre problème, l'insistance de l’Église sur la miséricorde pour le coupable conduit à minorer la souffrance de la victime.

Le sous-titre du livre pose donc la question : la morale catholique favorise-t-elle la violence sexuelle ? Pour y répondre, Matthieu Poupart analyse différents documents, et plusieurs témoignages de victimes viennent ponctuer et nourrir la réflexion.

Pour commencer j'ai été (désagréablement) surprise que l'auteur ne soit pas réellement présenté sur la quatrième de couverture. On saura seulement qu'il est engagé auprès de victimes d'abus et membre du collectif Agir pour notre Église. Cela ne dit pas grand'chose de son parcours, de sa situation et de sa formation (en théologie morale en particulier). Dans les interviews que l'on peut trouver de lui sur Internet, il est présenté comme "chercheur", mais on ne sait pas en quoi.

Vient ensuite la question des sources utilisées. Il n'existe pas d'ouvrage qui rassemble l'enseignement de l’Église sur la morale sexuelle (comme le Compendium de la Doctrine sociale de l'Église par exemple). Il faut donc constituer un corpus de textes. Et le problème, c'est que l'auteur ne justifie pas sa sélection : nulle part il n'explicite les critères qui lui ont fait retenir tel auteur ou tel texte.

Or il me semble que cet ensemble manque de cohérence et, pour une part, de pertinence. On se trouve face à des supports divers (et de degrés d'autorité bien différents) et dont l'analyse est elle aussi inégale. En vérité, on ne sait pas très bien ce que l'auteur a voulu faire : il se défend (dans une interview récente) d'avoir voulu faire un livre de théologie, quoiqu'il propose tout de même une analyse d'extraits de Saint Augustin, Saint Thomas d'Aquin ou Jean-Paul II, sans qu'on sache bien quelle connaissance il a de leur oeuvre.

Mais, affichant l'intention d'étudier "la pastorale" de l'Eglise, l'auteur retient différents supports dont on peut penser qu'il les juge représentatifs. Pour autant, les choix montrent plutôt une connaissance partielle, et biaisée par les réseaux sociaux, de cette "pastorale". En témoigne le traitement réservé à une conférence de Pierre-Hervé Grosjean, décortiquée dans les moindres détails. Or, je n'ai jamais entendu personne (dans la vraie vie) qui se réfère au Padreblog. Son audience me parait assez faible en dehors d'un certain milieu catholique très connecté, propre aux aumôneries étudiantes de quelques grandes métropoles. C'est encore plus vrai concernant les manuels d'éducation affective dont il est question dans le premier chapitre. En 13 ans d'enseignement dans l'enseignement catholique (sous contrat), je n'ai jamais vu ni entendu parler de ces manuels dans les établissements que je connais ou dont je peux avoir des échos. Je ne dis pas qu'ils n'existent pas : j'en ai - moi aussi - vu des photos dans des threads accusateurs sur Twitter. Mais l'utilisation de ces publications me parait, là encore, limitée à quelques milieux spécifiques. Les réseaux sociaux ont donné à leurs détracteurs une caisse de résonance disproportionnée par rapport à leur audience réelle. Honnêtement, je ne comprends pas l'importance que Matthieu Poupart leur donne.

Le travail sur les extraits bibliques, notamment l'histoire de Tamar ou Abram face à Pharaon, est un peu plus convaincant, et en tout cas certainement original. Presque frustrant : il mériterait en fait un livre à lui tout seul, qui non seulement analyserait les passages bibliques concernés mais aussi l'usage qui en a été fait au cours de l'histoire de la théologie morale. Un corpus d'extraits bibliques ne serait pas exhaustif mais il aurait au moins une cohérence intrinsèque.

Les derniers chapitres sur la persistance d'une culture du silence dans l'Eglise sont plutôt convaincants aussi. Sur ce point, il est plus évident que Matthieu Poupart a "des billes", comme en témoignent les extraits de témoignages de victimes longuement cités.

La conclusion, quant à elle, est à mon avis la meilleure partie de l'ouvrage. La thèse défendue est que ce n'est pas la morale catholique dans son ensemble qui porte à la violence sexuelle, mais que des éléments toxiques y demeurent qui donnent aux agresseurs des justifications ou des excuses dont ils savent (ab)user.

On pourrait élargir l'étude en approfondissant la dimension historique : travailler sur ce qui a fait évoluer l'enseignement moral de l’Église, au point que des prêtres en arrivent à condamner davantage la victime de viol que le violeur. Des pistes sont à creuser. Par exemple, je pense au rôle des grandes "hérésies" (catharisme, protestantisme, jansénisme) qui ont influencé (d'une façon ou d'une autre) le discours moral(isateur) de l'Eglise, ou aux circonstances dans lesquelles Napoléon Ier rétablit l’Église en France (le clergé endosse alors en partie le rôle d'une police des mœurs bourgeoises et patriarcales : l'exaltation de la virginité féminine y tire une bonne part de ses racines).

Un autre angle mort que je regrette concerne l'enseignement dispensé aux séminaristes, à peine évoqué. Il aurait été intéressant de pousser la porte de quelques séminaires pour travailler sur ce qui est enseigné aux séminaristes (sur le sujet), et ce qu'ils en retiennent. Il me semble que c'est une clé du problème, parce que c'est que se forge le discours moral que les fidèles entendent effectivement. Un prêtre est un homme célibataire formé au milieu d'autres hommes célibataires par d'autres hommes célibataires, qui eux-mêmes ont été formés au milieu d'autres hommes célibataires par d'autres hommes célibataires, etc. C'est une véritable endogamie intellectuelle, creuset de bien des dérives (comment tant de prêtres en sont-ils arrivés à croire, par exemple, que "les enfants (abusés) oublient" ce qu'ils ont subi, sinon parce qu'ils n'ont jamais été formés correctement à la psychologie de l'enfant ?). Je ne dis pas qu'il faut des prêtres femmes, mariés ou pères de famille ; je dis qu'il faut davantage de femmes, d'hommes mariés ou pères de famille dans le corps enseignant qui forme les prêtres. La pastorale ne pourra qu'y gagner.

Ces dernières réflexions dépassent sans doute l'intention de Matthieu Poupart, mais il aurait été à propos d'approfondir l'analyse sur la formation des prêtres.

Finalement, ce livre laisse une impression compliquée à exprimer, comme en témoigne la difficulté que j'ai eue à rédiger cet article. Plusieurs pistes sont à peine explorées et la pertinence de certains choix est discutable. Pour autant, quelques phrases particulièrement fortes montrent de sa part une finesse d'analyse qu'il sera intéressant de retrouver à l'avenir.

Pour aller plus loin :

Notre faute

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Nous sommes au début des années 2000. J'ai une vingtaine d'années, je n'ai jamais été (et c'est toujours le cas) concernée de près par une affaire d'abus sexuel dans l'Église. Je sais que ça existe, bien sûr, il y a forcément des brebis galeuses ; mais je ne m'en préoccupe pas davantage, pourquoi le ferais-je ?

Je discute avec un prêtre. À l'époque il vient d'être nommé aumônier d'un établissement scolaire : rien d'extraordinaire, c'est déjà ce qu'il est alors, dans un autre établissement. Depuis deux ans.

Deux ans, c'est très court pour une mission de prêtre ; en général un aumônier scolaire reste en place au moins cinq ou six ans.

Il me raconte sa réaction lorsque son évêque lui a annoncé qu'il changeait d'affectation, au bout de deux ans donc : "Qu'est-ce qui se passe ? J'ai touché une petite fille ou quoi ?"

(ce n'était pas du tout le cas)

Sur le moment, je n'ai pas réagi, mais je me rappelle avoir ressenti immédiatement un malaise. Qu'il se soit d'abord inquiété d'avoir été accusé montrait qu'il avait, à l'époque, complètement intériorisé que déplacer en urgence un prêtre accusé était, dans l'Église catholique, une manière habituelle de traiter le "problème".

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Depuis deux jours, je m'interroge sur mon absence de réaction. Il y a certainement une lenteur de mon esprit, quand je me sens mal à l'aise dans une situation, pour analyser ce malaise. Il est très possible que je n'aie pas réussi immédiatement à mettre des mots dessus.

Peut-être aussi ne me suis-je pas, sur le moment, sentie libre d'exprimer ce malaise, même si je sais aujourd'hui qu'il l'aurait parfaitement entendu, et aurait sans doute admis que sa réaction révélait bel et bien un problème systémique.

Mais je ne peux pas m'empêcher de me dire que, probablement, moi-même, j'avais intériorisé ce fonctionnement de l'Église, et que je comprenais qu'il se soit immédiatement demandé s'il avait été accusé.

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Comme fidèles, on aimerait pouvoir se dire que la responsabilité dans ce désastre n'est pas la nôtre, que c'est l’institution qui a failli, que c'est au clergé de se réformer.

Oui bien sûr, des réformes sont absolument nécessaires et les évêques ont intérêt à se montrer à la hauteur du travail mené par la CIASE, s'ils ne veulent pas perdre le "petit reste" qui ne partira pas, malgré le dégoût.

Mais la première réforme à mener, c'est de reconnaître, comme l'écrit Pierre-Alain Lejeune dans ce très beau billet, que même non-coupables nous ne sommes pas innocents. Notre faute collective est de n'avoir pas "capté les signaux faibles", comme dit Jean-Marc Sauvé.

Dans les témoignages de victimes publiés avec le rapport, l'une d'entre elles dit "l'idolâtrie de l'Eglise, c'est le péché originel" ; je trouve cette expression très frappante et très juste. Elle me restera longtemps en mémoire.

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Seigneur, nous ne savons pas dans quel état l'Église ressortira de tout cela. Mais garde-nous dans la confiance et la certitude que la Vérité nous rendra libres, et donne nous le courage d'aller où Tu veux nous conduire.

Où le péché a abondé, la grâce a surabondé (Rm 5, 20).

Coloniser le temps

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Un numéro récent de La Croix L'Hebdo (1er-2 mai 2021) propose une interview fort intéressante (comme souvent dans les publications du groupe) de David van Reybrouck, historien belge (personne n'est parfait) auteur de plusieurs études sur la colonisation. Entre autres réflexions stimulantes, il emploie l'expression "nous sommes en train de coloniser les décennies, voire les siècles à venir avec la brutalité et l'égoïsme que nous avons réservés aux continents inconnus au XIXe siècle" (c'est moi qui souligne). Il parle ici de la crise écologique et des conséquences qu'elle ne manquera pas d'avoir. Cette idée que nous colonisons le temps (futur) après avoir colonisé l'espace accessible a retenu mon attention.

C'est quasiment un lieu commun de dire que notre société est malade dans son rapport au temps (culte de l'urgence, incapacité à nous projeter...). Cette pathologie de l'homme moderne est analysée dans de nombreux ouvrages et je n'en ferai pas le tour aujourd'hui. Moi qui suis chrétienne, je vois dans cette maladie un effet du rejet de Dieu par la société moderne. Le temps est intrinsèquement la dimension de Dieu. Il en est le maître, voire le propriétaire : au Moyen Âge on interdisait l'usure parce qu'elle revenait à vendre le temps, qui n'appartient qu'à Dieu.

La Bible exprime en de nombreux endroits le décalage entre le temps de Dieu et le temps des hommes. On se souvient du verset du psaume 89 : "A tes yeux, mille ans sont comme hier, c'est un jour qui s'en va, une heure dans la nuit."

J'ai récemment été frappée par l'usage des temps verbaux dans cet extrait du livre d'Ezéchiel (Ez 37, 21-28) où les verbes qui s'appliquent aux actions de Dieu sont au futur ("je les rassemblerai ...") tandis que ceux qui s'appliquent aux actions des hommes sont au passé ("ils ont péché") - sauf évidemment ceux qui décrivent les conséquences de la réalisation de la promesse ("ils ne seront plus divisés"). Le présent des hommes est, d'une certaine façon, une tension permanente entre ce passé dont le pécheur ne s'éloigne jamais tout à fait, et le futur dont le croyant entrevoit la germination dès aujourd'hui. Notre vie est un long Samedi saint avec, dedans, de (parfois gros) morceaux de Vendredi saint et de fugaces étincelles de Dimanche de Pâques.

Dans le récit de la création (Gn 1), le Temps occupe une place spéciale, car les luminaires qui le découpent sont créés le quatrième jour sur une semaine qui en compte 7. La Bible affectionne les constructions symétriques (voire chiasmatiques AB/BA) et ce rang central (4 sur 7) est destiné à attirer l'attention du lecteur : la création des luminaires qui donnent la temporalité aux hommes est ainsi un moment fort de la création. Ces luminaires fixent en effet le calendrier liturgique ; en d'autres termes, avant même que les hommes soient créés, il leur est donné le socle sur lequel ils appuieront leur relation vers Dieu.

Luminaires au pluriel car notre Dieu, qui est davantage un poète qu'un ingénieur (en gros c'est un petit rigolo), s'est plu à brouiller les pistes en nous donnant deux bases de comput, dont les cycles sont légèrement décalés, histoire de nous empêcher de prendre le plein contrôle du temps. Ce qui a des conséquences rigolotes, d'ailleurs : un élève musulman m'expliquait mardi que la date de la fin du ramadan n'est connue (à un jour près) qu'au dernier moment, après la "Nuit du Doute" - je le savais pour la date de début, mais je pensais naïvement que la durée du mois était fixe et qu'il suffisait de calculer x jours à partir du début.

Nous pouvons mesurer le temps de plus en plus précisément, mais la nécessité de tenir compte de deux cycles légèrement décalés nous empêche de nous poser en maîtres du temps.

Et comme je le disais plus haut, je crois que l'angoisse qui caractérise notre époque dans son rapport au temps résulte de son rejet de Dieu, ce qui affecte la société d'une façon très profonde (car même un croyant vivant dans le monde d'aujourd'hui peut être touché par cette difficulté, je peux en témoigner). En refusant l'existence d'une transcendance qui soit extérieure au temps des hommes, ceux-ci font de celui-là une véritable obsession (au sens pathologique du terme).

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Petit, mais choisi

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Les lectures de la messe de ce jeudi avaient un fil conducteur rassurant, pourrait-on dire.

Dans la première, il est question de David, à propos duquel Paul (qui s'adresse aux Juifs rassemblés dans une synagogue) rassemble plusieurs passages de la Bible : J’ai trouvé David, fils de Jessé ; c’est un homme selon mon cœur qui réalisera toutes mes volontés. Quand on sait de quoi fut capable David, qui fit tuer le général dont il avait mis la femme enceinte, lire que Dieu avait vu en lui un homme "selon son cœur" est tout de même vachement décrispant. Dieu n'exige pas la perfection.

Qui réalisera toutes mes volontés nous remet devant la question de la volonté de Dieu. David a réalisé la volonté de Dieu ; mais pas que. Je veux dire qu'il a aussi agi selon ses volontés à lui. Nulle part sa liberté à lui n'a été abolie. Dieu mendie l'obéissance, mais n'exige pas l'écrasement de l'individu.

Et Dieu fait une promesse à son serviteur : ma main sera pour toujours avec lui, mon amour et ma fidélité sont avec lui. Je crois qu'en hébreu, vérité et fidélité sont une même racine. Il n'y a pas d'amour vrai s'il n'est fidèle. La promesse de Dieu n'a pas de limite dans le temps. Même au serviteur indigne, Dieu ne retire pas son amour.

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Recevoir son salut

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Vous avez probablement déjà entendu l'expression faire son salut, et très probablement aussi  gagner son paradis. Si je savais confusément qu'elles ne sont pas très chrétiennes, parce que peu compatibles avec l'idée d'une gratuité de la miséricorde, j'ai longtemps eu du mal à mettre le doigt sur le problème. C'est venu cet été.

Le point à bien comprendre, c'est qu'on n'a pas besoin de faire son salut, mais il faut le recevoir.

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