La Foi, un privilège
Rédigé par Métro-Boulot-Catho -Ce texte est complémentaire de celui-ci.
Il est des périodes où la pratique de la Foi est un véritable fardeau.
Fardeau d'aller à la Messe quand la routine a pris le pas sur l'enthousiasme. Fardeau de s'astreindre à la fidélité dans la prière quotidienne lorsque celle-ci se fait sèche, vide, et (en apparence) stérile. Fardeau de l'inconfort de choix de vie exigeants, à rebours de la facilité à laquelle tout invite aujourd'hui. Et fardeau d'autant plus lourd que l'on sait bien que les ouvriers de la onzième heure auront "droit" à la même "récompense".
« En effet, le Royaume des cieux est comparable au maître d'un domaine qui sortit au petit jour afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d'accord avec eux sur un salaire d'une pièce d'argent pour la journée, et il les envoya à sa vigne. Sorti vers neuf heures, il en vit d'autres qui étaient là, sur la place, sans travail. Il leur dit : 'Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste.' Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d'autres qui étaient là et leur dit : 'Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?' Ils lui répondirent : 'Parce que personne ne nous a embauchés.' Il leur dit : 'Allez, vous aussi, à ma vigne.'
Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : 'Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.' Ceux qui n'avaient commencé qu'à cinq heures s'avancèrent et reçurent chacun une pièce d'argent. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d'argent. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : 'Ces derniers venus n'ont fait qu'une heure, et tu les traites comme nous, qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur !' Mais le maître répondit à l'un d'entre eux : 'Mon ami, je ne te fais aucun tort. N'as-tu pas été d'accord avec moi pour une pièce d'argent ? Prends ce qui te revient, et va-t'en. Je veux donner à ce dernier autant qu'à toi : n'ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ? Vas-tu regarder avec un oeil mauvais parce que moi, je suis bon ?'
Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »
(Mt XX, 1-16)
Les ouvriers de la première heure se font joliment avoir, dans l'histoire, non ?!
Un jour, un prêtre à qui j'en parlais en ces termes, me répondit que, pour lui, la Foi était un privilège. Sur le moment, je n'ai pas compris. Cela m'a paru très élitiste et peu conforme à la notion d'universalité du salut, celle justement qui distingue le christianisme du judaïsme. De prime abord, je retenais que non seulement, on se faisait avoir, mais qu'en plus ça rendait arrogant ; mais connaissant ce prêtre, je savais qu'il fallait chercher ailleurs.
Reprenons l'Evangile. En quoi les ouvriers de la première heure (ceux qui travaillent le plus) seraient-ils des privilégiés par rapport aux autres ?
Eh bien, je crois qu'ils sont privilégiés du fait qu'ils sont auprès du maître depuis plus longtemps. Alors que les autres ont passé leur journée dans l'expectative, la crainte peut-être de ne rien gagner de leur journée, les ouvriers de la première heure sont restés tout ce temps dans la proximité du maître.
J'ai déjà utilisé la métaphore de la fête : préparer une fête, ce peut être très fastidieux, être un vrai fardeau. Cela demande du travail, cela demande de renoncer parfois à un plaisir plus immédiat. Or, les invités qui ne l'auront pas préparée en profiteront tout autant.
Mais préparer un événement a pour effet de vous projeter, déjà, dans l'ambiance festive qu'on espère lui donner. Se savoir invité, c'est déjà être "à la fête".
Invité à une fête, on propose son aide pour la préparer : "Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ?" – c'est le sens de la vocation chrétienne, qui est de participer, de collaborer, à l'avénement du Royaume.
Invité à une fête, on s'efforce de soigner sa personne : "Qu'est-ce que je vais mettre ?" – c'est le but de la morale chrétienne, qui est de se préparer à entrer dans la Demeure de Dieu.
Invité à une fête, on cherche à ne pas se couper de l'ami qui l'organise, à multiplier au contraire les contacts avec lui – c'est l'effet des sacrements chrétiens, qui est de mettre Dieu, dès maintenant, en chacun des événements (petits et grands) de la vie, afin de vivre en familiarité avec Lui.
Et il n'y a alors, dans ce travail de la Vigne du Seigneur, rien de pesant. Ainsi le Père des deux fils, dont l'un repenti de sa mauvaise conduite se voit fêté, et dont l'aîné prend ombrage de ce favoritisme apparent, dit-il à ce dernier "'Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi" (Lc 15, 25). En d'autre termes : le favorisé, c'est toi, puisque tu as toujours profité de mes biens.
En clair, la différence entre le chrétien et le non-chrétien n'est pas que le dernier ira en enfer ; mais que le premier, d'une certaine façon, est déjà au Paradis…
Et là est le privilège du chrétien.