Il n'aura échappé à personne que ce blog est resté relativement passif ces deux dernières années. Au point que, ayant oublié mon code de connexion, je me suis retrouvée coincée à la porte de mon propre site quand j'ai voulu y retourner...
Une bonne raison à cela : la préparation de l'agrégation interne a trop absorbé mon énergie intellectuelle pour que je parvienne à la concentrer sur d'autres lectures ou d'autres sources d'inspiration.
À présent que tout cela est derrière moi, j'espère passer des vacances suffisamment reposantes pour retrouver quelques saines habitudes et être capable de produire un peu de réflexion. D'autant que l'évolution récente de Twitter, sur lequel je suis restée active, m'incline à retrouver un support plus serein et moins exposé.
Avec un peu de chance l'été lui-même sera fructueux, au moins sur le plan pictural.
Choisis un travail que tu aimes, et tu n'auras pas à travailler un seul jour de ta vie. Vous connaissez certainement cette phrase qu'on prête à Confucius (mais comme l'a justement dit Abraham Lincoln : le problème avec les citations sur Internet, c'est qu'on n'est jamais sûr de leur authenticité). Qu'elle soit ou non authentique, elle connaît un certain succès de nos jours, car elle colle bien avec la mode contemporaine du développement personnel.
Elle est vraie en un sens, mais n'aide pas forcément des élèves qui n'ont pas, tous, une claire idée du genre de travail qu'ils pourront aimer.
Il y a quelques temps, je suis tombée sur la vidéo d'une conférence TEDx de Benjamin Todd, dont le titre a retenu mon attention, parce qu'il prend un peu le contrepied du cliché habituel : To find work you love, don't follow your passion. Je vous conseille de la regarder si possible, mais je vais ci-dessous en résumer la substantifique moelle, pour expliciter la raison pour laquelle j'en parle. C'est que le raisonnement tenu par le conférencier colle assez bien au propos d'un livre qui a récemment rejoint ma bibliothèque : Ta vie est une mission, par Marguerite Chevreul, aux très recommandables éditions Emmanuel.
Un numéro récent de La Croix L'Hebdo (1er-2 mai 2021) propose une interview fort intéressante (comme souvent dans les publications du groupe) de David van Reybrouck, historien belge (personne n'est parfait) auteur de plusieurs études sur la colonisation. Entre autres réflexions stimulantes, il emploie l'expression "nous sommes en train de coloniser les décennies, voire les siècles à venir avec la brutalité et l'égoïsme que nous avons réservés aux continents inconnus au XIXe siècle" (c'est moi qui souligne). Il parle ici de la crise écologique et des conséquences qu'elle ne manquera pas d'avoir. Cette idée que nous colonisons le temps (futur) après avoir colonisé l'espace accessible a retenu mon attention.
C'est quasiment un lieu commun de dire que notre société est malade dans son rapport au temps (culte de l'urgence, incapacité à nous projeter...). Cette pathologie de l'homme moderne est analysée dans de nombreux ouvrages et je n'en ferai pas le tour aujourd'hui. Moi qui suis chrétienne, je vois dans cette maladie un effet du rejet de Dieu par la société moderne. Le temps est intrinsèquement la dimension de Dieu. Il en est le maître, voire le propriétaire : au Moyen Âge on interdisait l'usure parce qu'elle revenait à vendre le temps, qui n'appartient qu'à Dieu.
La Bible exprime en de nombreux endroits le décalage entre le temps de Dieu et le temps des hommes. On se souvient du verset du psaume 89 : "A tes yeux, mille ans sont comme hier, c'est un jour qui s'en va, une heure dans la nuit."
J'ai récemment été frappée par l'usage des temps verbaux dans cet extrait du livre d'Ezéchiel (Ez 37, 21-28) où les verbes qui s'appliquent aux actions de Dieu sont au futur ("je les rassemblerai ...") tandis que ceux qui s'appliquent aux actions des hommes sont au passé ("ils ont péché") - sauf évidemment ceux qui décrivent les conséquences de la réalisation de la promesse ("ils ne seront plus divisés"). Le présent des hommes est, d'une certaine façon, une tension permanente entre ce passé dont le pécheur ne s'éloigne jamais tout à fait, et le futur dont le croyant entrevoit la germination dès aujourd'hui. Notre vie est un long Samedi saint avec, dedans, de (parfois gros) morceaux de Vendredi saint et de fugaces étincelles de Dimanche de Pâques.
Dans le récit de la création (Gn 1), le Temps occupe une place spéciale, car les luminaires qui le découpent sont créés le quatrième jour sur une semaine qui en compte 7. La Bible affectionne les constructions symétriques (voire chiasmatiques AB/BA) et ce rang central (4 sur 7) est destiné à attirer l'attention du lecteur : la création des luminaires qui donnent la temporalité aux hommes est ainsi un moment fort de la création. Ces luminaires fixent en effet le calendrier liturgique ; en d'autres termes, avant même que les hommes soient créés, il leur est donné le socle sur lequel ils appuieront leur relation vers Dieu.
Luminaires au pluriel car notre Dieu, qui est davantage un poète qu'un ingénieur (en gros c'est un petit rigolo), s'est plu à brouiller les pistes en nous donnant deux bases de comput, dont les cycles sont légèrement décalés, histoire de nous empêcher de prendre le plein contrôle du temps. Ce qui a des conséquences rigolotes, d'ailleurs : un élève musulman m'expliquait mardi que la date de la fin du ramadan n'est connue (à un jour près) qu'au dernier moment, après la "Nuit du Doute" - je le savais pour la date de début, mais je pensais naïvement que la durée du mois était fixe et qu'il suffisait de calculer x jours à partir du début.
Nous pouvons mesurer le temps de plus en plus précisément, mais la nécessité de tenir compte de deux cycles légèrement décalés nous empêche de nous poser en maîtres du temps.
Et comme je le disais plus haut, je crois que l'angoisse qui caractérise notre époque dans son rapport au temps résulte de son rejet de Dieu, ce qui affecte la société d'une façon très profonde (car même un croyant vivant dans le monde d'aujourd'hui peut être touché par cette difficulté, je peux en témoigner). En refusant l'existence d'une transcendance qui soit extérieure au temps des hommes, ceux-ci font de celui-là une véritable obsession (au sens pathologique du terme).
Il y en a un qui doit être vachement content en ce moment, c'est le Diable. Pas parce que les messes sont interdites - elles ne le sont pas. Pas non plus parce que les sacrements sont inaccessibles - ils ne le sont pas. Mais parce que les catholiques se déchirent et ça, il kiffe.
Le premier confinement, qui nous a tous pris par surprise, était strict et nous avons été coupés de la structure ecclésiale (et des communautés paroissiales) juste avant Pâques ; et ça c'était moche. Mais, privée des sacrements, j'ai pu constater que la grâce de Dieu supplée car, si essentiels soient-ils pour nous, Dieu est plus grand que les sacrements. J'ai senti autrement, mais sans conteste, la présence de Dieu. Sur ce plan là, je n'ai pas ressenti ma solitude forcée comme une souffrance. Et pouvoir de nouveau communier a été une joie très profonde dont je n'aurais peut-être jamais goûté la saveur sans cette privation.
Ce second confinement nous prive de nouveau de messes publiques, mais d'une façon bien plus injuste quand certains, dont je fais partie, continuent d'exercer leur activité dans des conditions qui rendent absolument risible l'argument sanitaire qui appuie la fermeture des messes. Quoi ?! Je passe la semaine dans des salles de classes, cantine et salle des profs, à proximité immédiate de plusieurs centaines de personnes, et je serais en danger dans une cathédrale dont le volume intérieur se chiffre en dizaines de mètres cube ? Laissez-moi rire !
En ce qui me concerne, j'ai cependant une chance immense, car j'enseigne dans le privé, et nous bénéficions de la présence au collège d'un prêtre sur une bonne partie de la semaine. De plus, les équipes pastorales en paroisses s'organisent pour ménager des temps sur lesquels il est possible de recevoir la communion ou se confesser. Donc, je ne suis pas du tout dans la même configuration qu'au printemps, au moins pour le moment. Il reste que la messe dominicale en paroisse est très structurante pour moi ; et les vacances de Noël limiteront les possibilités, sans parler de la perspective un peu déprimante d'une messe de minuit en vidéo.
C'est la raison pour laquelle j'ai espéré une réouverture et soutenu les actions légales qui la demandaient. Je regrette d'ailleurs que les représentants de l'Église catholique soient les seuls à être montés au créneau (parce qu'il est évident que les représentants des autres cultes se seraient précipités pour exiger l'égalité en cas d'avis favorable du Conseil d'État, et cela aurait d'ailleurs été bien normal, et c'est d'ailleurs bien la raison pour laquelle le recours a été refusé).
Mais cela n'a pas abouti pour le moment et, comme la majorité des catholiques français, je suis légaliste. C'est avec un peu d'agacement que je vois certains identitaires afficher leur revendication dans une confusion des genres perverse entre la manifestation et la prière. La Croix n'est pas un étendard et non, les chrétiens ne sont pas persécutés en France.
Mais c'est avec douleur que je lis certains autres chrétiens donner à leurs propres frères des leçons hiérarchisant les voies de la vie spirituelle, "oui la messe est importante mais...". Cette compétition malsaine à qui priera le plus loin est détestable. Si j'affirme que pour moi, par rapport à ma vie spirituelle, la messe en vidéo est une alternative dégradée de la messe communautaire, il n'appartient à personne de me répondre que c'est pareil. C'est aussi simple que cela. Et si je récuse toute persécution, je veux pouvoir dénoncer l'analphabétisme religieux de responsables politiques parfaitement étrangers à cette réalité vécue par des millions de gens : croire en Dieu, prier, se réunir régulièrement entre croyants. Ces gens n'ont tout simplement aucun sens de cette réalité.
Il est toujours dommage que les catholiques se déchirent entre eux sur la question très ancienne de savoir jusqu'à quel point il faut obéir aux autorités civiles ; mais ce débat est normal, en un sens. En revanche, il est détestable que certains se permettent de croire qu'ils ont mieux compris que les autres "ce qui est important". Que connais-tu de la vie spirituelle des autres, de leurs combats intimes, de leurs joies et de leurs désolations ? Occupe toi donc de tes fesses, comme je le dis à mes élèves.
Pour finir sur une note plus gaie, je crois cependant avoir trouvé le moyen de réconcilier tout le monde. Puisque la communication gouvernementale insiste sur le fait que les funérailles sont autorisées, avec l'air de vouloir nous consoler comme ça de la privation de messes, je propose qu'on monte un Tinder-like qui mette en relation les petites vieilles à enterrer et les catholiques frustrés de célébration. Il n'y a plus qu'à trouver 5 ou 6 grand-mères d'ici Noël.
N'hésitez pas à revenir vers moi pour plus de bonnes idées.
Si ce blog n'a pas été conçu comme une tribune politique, je voudrais exprimer quelques réflexions à propos de la loi dite "de bioéthique" (mais qu'a-t-elle encore de bio- ou d'éthique ?) actuellement en cours d'adoption.
Parce que cette loi a été définie comme une ouverture de droits aux homosexuels (alors même qu'elle contient des dispositions concernant
l'utilisation des embryons humains qui n'ont plus rien à voir avec la
question de l'homoparentalité, et qui tendent à nous rapprocher
dangereusement d'un roman d'Aldous Huxley), s'affirmer contre expose immanquablement à l'accusation d'homophobie.