Judas, le déçu
Rédigé par Métro-Boulot-Catho -Je viens de finir, un peu après tout le monde, la quatrième saison de la série The Chosen. Il y a beaucoup à dire sur cette série, et plutôt du bien même si les défauts en sont évidents, mais je voudrais me concentrer ici sur le personnage de Judas.
Les évangiles ne disent pas grand'chose de lui, donc le personnage dans la série est très construit par les scénaristes. Mais je trouve assez intéressante la manière dont ils l'ont construit. Précisons qu'à ce stade, Judas n'a pas encore joué son rôle principal (la 4e saison s'arrête juste avant les Rameaux) ; mais on sent monter peu à peu la tension qui l'anime.
À bien y réfléchir, il n'est pas évident de construire le cheminement qui le conduit de "apôtre" (et donc compagnon proche de Jésus) à "traître". Les scénaristes doivent donner une explication à sa traîtrise. Je ne sais pas si leur hypothèse est juste, et on ne la connait pas encore complètement. Mais ce qui se dessine est plutôt séduisant.
D'abord, Judas est le dernier arrivé parmi les apôtres (apparition à la fin de la saison 2, entrée réelle au début de la 3). Puisque les évangiles ne disent rien des circonstances de sa rencontre avec Jésus, les scénaristes ont imaginé qu'il était l'un des protagonistes qui permettent aux apôtres de disposer du terrain sur lequel Jésus délivre le Sermon sur la montagne (on passe sur la façon assez anachronique avec laquelle ce Sermon est mis en scène).
Judas, associé d'un entrepreneur fort peu scrupuleux, se retrouve saisi par ce qu'il entend et décide de plaquer son associé. Après un genre d'entretien de motivation, Jésus lui accorde de rejoindre les autres apôtres. De cette façon, Judas est le seul que Jésus n'a pas "trouvé" lui-même. Il s'est plus ou moins imposé. Ainsi, dès l'origine, Judas est différent des autres. Il garde cette différence tout du long : on le sent beaucoup plus égocentré que les autres. À plusieurs reprises, il évoque ses propres compétences dont on le sent fier.
Il affiche aussi beaucoup plus souvent des préoccupations très prosaïques. Il faut souligner pour autant que ses intentions sont positives par rapport à Jésus : il recherche une forme d'optimisation du "ministère" (ouh le vilain anglicisme évangélique) et d'efficacité du discours. Recherche qui n'est pas désintéressée d'ailleurs : la scène de la lessive avec "Zee" (Simon le Zélote) le montre habitué à être servi, il se débarrasserait volontiers des corvées ménagères.
Conformément au récit évangélique, Judas est chargé de tenir la bourse collective. L'évangile dit explicitement qu'il abuse de la confiance des autres et se sert dans la caisse. Dans la série, c'est son ancien associé qui le lui suggère, au motif que les compétences qu'il met ainsi au service des autres méritent un salaire. Ici, la série dédouane en partie Judas de ses responsabilités : d'une part il n'est pas malhonnête tout de suite, et d'autre part c'est un autre qui l'y pousse. L'ancien associé, qu'on a déjà vu arnaquer sans scrupule un vieil homme en lui rachetant son terrain pour une bouchée de pain, apparait comme une figure diabolique. Il est celui qui manipule, qui détourne les intentions, qui trompe.
Si la trahison n'a pas encore eu lieu, on sent venir le motif de cette trahison. Pusieurs fois, Judas exprime à l'un ou l'autre disciple son incompréhension et son impatience. Il ne comprend pas que Jésus ne cherche pas à organiser une armée ; il ne comprend pas que le groupe soit en butte aux difficultés et même à l'humiliation, lorsqu'il est requis par une patrouille romaine pour porter son équipement (ici l'exactitude de la reconstitution historique permet de comprendre le verset Mt 5,41 : "Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.").
Finalement, Judas est un déçu. Il est tiraillé par ce paradoxe d'être convaincu d'avoir trouvé en Jésus le Messie, le Fils de Dieu, mais pas le Messie qu'il attendait. Il voulait un chef de guerre, qui prenne les armes contre l'occupant romain et, nouveau Judas Macchabée, redonne au peuple élu sa pleine souveraineté. Judas est déçu par Jésus, et quelque part cela le rend beaucoup plus proche de nous. Combien de personnes disent avoir "perdu la foi" parce que Dieu n'est pas le Superman qu'elles espéraient, qui viendrait magiquement corriger les défauts, enlever les ombres, réparer les blessures de leur vie en particulier ou du monde en général ?
J'ai mis des guillemets à "perdu la foi" car ce qu'elles ont perdu, c'est plutôt des illusions que la foi. La foi, c'est croire malgré les déceptions. La profession de foi de Pierre ("à qui irions-nous ? tu as les paroles de la vie éternelle") est d'autant plus forte dans la série que les scénaristes lui ont imaginé un drame personnel, qu'il a dû surmonter ; il lui a fallu admettre que Jésus n'avait pas empêché la fausse-couche de sa femme. À la fin de la saison 4, Thomas est encore sous le choc de la mort de Ramah, choc ravivé par la résurrection de Lazare ; et ce n'est certainement pas un hasard si c'est lui qui est le plus violemment percuté par cette incompréhension, lui qui refusera d'abord de croire en la Résurrection de Jésus. J'imagine que les scénaristes ont leur petite idée derrière la tête.
Ainsi, pour en revenir à Judas, la construction du personnage montre combien la Foi est difficile et, d'une certaine façon, inhumaine : elle suppose de renoncer à tant de mirages, tant d'illusions, tant d'idoles ... Dieu n'est pas Celui qu'il croyait. Judas est celui qui ne réussira pas à surmonter cette prise de conscience. Peut-on vraiment lui en vouloir ? on sait bien qu'elle est un combat de tous les jours.
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Une autre fois je vous parlerai d'un autre de mes personnages préférés : Gaïus, le centurion (prêteur) romain. Ou aussi de Thomas, tiens. Ou bien de Pierre, à moins que je m'attarde sur Zee ou sur Jacques le Mineur, ou bien...
Bref, quoiqu'il arrive, c'est probablement la force de cette série : rendre plus proches de nous ceux qui rencontrent Jésus. Parce que c'est eux, le centre de l’Évangile, non ?