Nous sommes au début des années 2000. J'ai une vingtaine d'années, je n'ai jamais été (et c'est toujours le cas) concernée de près par une affaire d'abus sexuel dans l'Église. Je sais que ça existe, bien sûr, il y a forcément des brebis galeuses ; mais je ne m'en préoccupe pas davantage, pourquoi le ferais-je ?
Je discute avec un prêtre. À l'époque il vient d'être nommé aumônier d'un établissement scolaire : rien d'extraordinaire, c'est déjà ce qu'il est alors, dans un autre établissement. Depuis deux ans.
Deux ans, c'est très court pour une mission de prêtre ; en général un aumônier scolaire reste en place au moins cinq ou six ans.
Il me raconte sa réaction lorsque son évêque lui a annoncé qu'il changeait d'affectation, au bout de deux ans donc : "Qu'est-ce qui se passe ? J'ai touché une petite fille ou quoi ?"
(ce n'était pas du tout le cas)
Sur le moment, je n'ai pas réagi, mais je me rappelle avoir ressenti immédiatement un malaise. Qu'il se soit d'abord inquiété d'avoir été accusé montrait qu'il avait, à l'époque, complètement intériorisé que déplacer en urgence un prêtre accusé était, dans l'Église catholique, une manière habituelle de traiter le "problème".
- - -
Depuis deux jours, je m'interroge sur mon absence de réaction. Il y a certainement une lenteur de mon esprit, quand je me sens mal à l'aise dans une situation, pour analyser ce malaise. Il est très possible que je n'aie pas réussi immédiatement à mettre des mots dessus.
Peut-être aussi ne me suis-je pas, sur le moment, sentie libre d'exprimer ce malaise, même si je sais aujourd'hui qu'il l'aurait parfaitement entendu, et aurait sans doute admis que sa réaction révélait bel et bien un problème systémique.
Mais je ne peux pas m'empêcher de me dire que, probablement, moi-même, j'avais intériorisé ce fonctionnement de l'Église, et que je comprenais qu'il se soit immédiatement demandé s'il avait été accusé.
- - -
Comme fidèles, on aimerait pouvoir se dire que la responsabilité dans ce désastre n'est pas la nôtre, que c'est l’institution qui a failli, que c'est au clergé de se réformer.
Oui bien sûr, des réformes sont absolument nécessaires et les évêques ont intérêt à se montrer à la hauteur du travail mené par la CIASE, s'ils ne veulent pas perdre le "petit reste" qui ne partira pas, malgré le dégoût.
Mais la première réforme à mener, c'est de reconnaître, comme l'écrit Pierre-Alain Lejeune dans ce très beau billet, que même non-coupables nous ne sommes pas innocents. Notre faute collective est de n'avoir pas "capté les signaux faibles", comme dit Jean-Marc Sauvé.
Dans les témoignages de victimes publiés avec le rapport, l'une d'entre elles dit "l'idolâtrie de l'Eglise, c'est le péché originel" ; je trouve cette expression très frappante et très juste. Elle me restera longtemps en mémoire.
- - -
Seigneur, nous ne savons pas dans quel état l'Église ressortira de tout cela. Mais garde-nous dans la confiance et la certitude que la Vérité nous rendra libres, et donne nous le courage d'aller où Tu veux nous conduire.
Où le péché a abondé, la grâce a surabondé (Rm 5, 20).
Aujourd'hui, je vais exceptionnellement rompre avec une règle que je m'étais fixée en créant ce blog, qui est de ne pas réagir "à chaud" à l'actualité, particulièrement quand elle tourne à la polémique. Mais je vais le faire aujourd'hui, parce que ce qui arrive est grave, et parce que j'ai mal.
D'abord et avant tout, j'ai mal à l'idée que des enfants ont souffert des horreurs que je ne peux même pas me représenter.
Mais j'ai surtout mal que des connards de prédateurs aient usé de l'ascendant moral et spirituel que leur donnaient leurs fonctions de prêtre pour infliger ces horreurs à ces enfants, obtenir leur silence et parfois aussi bénéficier de celui de leurs parents, qui ont préféré ne pas croire les enfants.
J'ai mal que des évêques aient nié, ou minimisé le problème, aient cherché à étouffer le scandale, à protéger l'Institution plutôt que les enfants.
Dans un autre registre, j'ai mal que dans certains pays, des religieux aient participé à l'enlèvement d'enfants à leur mère, et donné une caution morale et spirituelle à un système aussi odieux.
Tout cela me fait mal car ce n'est pas ce que je connais de l'Église, et j'ai terriblement mal que certains la réduisent désormais à tout cela.
Lire la suite de Catholic Blues
Dans mes lectures récentes, le Building a Bridge du père James Martin, récemment traduit sous le titre Bâtir un pont : l'Église et la communauté LGBT par le frère Marie-Augustin LHB op, traduction publiée aux éditions du Cerf, en toute logique (le traducteur étant dominicain).
Ayant
suivi sur les réseaux sociaux la sortie de ce livre, et la polémique
qui s'en est suivie (le père J. Martin a été violemment attaqué par les
milieux conservateurs), j'étais impatiente de le découvrir. Grâces
soient rendues au traducteur qui l'a rendu possible.
Le père James Martin, américain, jésuite, est un éditorialiste régulier du magazine America (seul hebdomadaire catholique des États-Unis) et consulteur au Secrétariat pour la communication du Saint-Siège et du Vatican.
Le
propos du livre est clairement pastoral, et pour cette raison me laisse
un peu sur ma faim. Je cherche encore une réflexion plus théorique sur
l'enseignement de l'Église catholique à propos de l'homosexualité. Il
m'est extrêmement difficile de comprendre le fait même de
l'homosexualité : si, comme l'Église l'enseigne, Dieu a voulu l'altérité
sexuelle, d'où vient que des hommes et des femmes ne peuvent la vivre ?
Si cet empêchement a une origine biologique, et parce qu'il me parait
évident que l'homosexualité n'est ni le signe, ni la cause
d'une quelconque malédiction divine (expression parfaitement oxymorique
s'il faut en croire l'Église), alors comment l'expliquer ? Je regrette
qu'il soit si difficile d'exprimer cette incompréhension, quand elle est
dénuée de malveillance, dans un contexte où le militantisme des uns
rend souvent le dialogue impossible.
Lire la suite de Bâtir un pont : l'Église et la commnauté LGBT
Une conférence donnée en janvier dernier par le père Jean-Philippe Fabre au Collège des Bernardins avait pour thème cette réflexion souvent entendue, dissociant Jésus de l'Eglise. Nombre de nos contemporains affirment accepter Jésus comme un "maître à penser", mais refuser l'Eglise catholique et romaine comme institution normative.
À proprement parler, pas de grosse surprise dans cette conférence au sens où il ne faut pas attendre d'un prêtre catholique qu'il relativise, voire annule, la place de l'Église dans le dessein de Dieu. Mais sa réflexion est intéressante pour la place qu'il donne aux objections formulées.
Lire la suite de "Jésus oui, l'Eglise non"