Choisis un travail que tu aimes, et tu n'auras pas à travailler un seul jour de ta vie. Vous connaissez certainement cette phrase qu'on prête à Confucius (mais comme l'a justement dit Abraham Lincoln : le problème avec les citations sur Internet, c'est qu'on n'est jamais sûr de leur authenticité). Qu'elle soit ou non authentique, elle connaît un certain succès de nos jours, car elle colle bien avec la mode contemporaine du développement personnel.
Elle est vraie en un sens, mais n'aide pas forcément des élèves qui n'ont pas, tous, une claire idée du genre de travail qu'ils pourront aimer.
Il y a quelques temps, je suis tombée sur la vidéo d'une conférence TEDx de Benjamin Todd, dont le titre a retenu mon attention, parce qu'il prend un peu le contrepied du cliché habituel : To find work you love, don't follow your passion. Je vous conseille de la regarder si possible, mais je vais ci-dessous en résumer la substantifique moelle, pour expliciter la raison pour laquelle j'en parle. C'est que le raisonnement tenu par le conférencier colle assez bien au propos d'un livre qui a récemment rejoint ma bibliothèque : Ta vie est une mission, par Marguerite Chevreul, aux très recommandables éditions Emmanuel.
Il y a quelques jours Konbini diffusait sur les réseaux sociaux le témoignage d'Anne Ratier, expliquant comment, en 1987, elle avait "offert la mort" (ce sont ses mots) à son fils âgé de 3 ans, lourdement polyhandicapé suite à un retard d'oxygénation au moment de l'accouchement. Si son discours n'est pas directement militant, il n'est pas difficile de voir, dans ce genre de témoignage compassionnel, une intention prosélyte certaine. L'objectif est toujours le même : rendre l'euthanasie acceptable, parce que la mort serait préférable à certaines vies.
Si d'autres l'ont fait avec intelligence, je ne peux manquer de réagir, car j'ai été touchée d'un peu plus près que la moyenne par cette question (Dieu merci, elle concerne en réalité un petit nombre de cas). Ma filleule était atteinte d'une maladie génétique orpheline qui s'est déclarée quelques mois après sa naissance. Un truc trop rare pour avoir été formellement identifié. Un problème de connexion entre le cerveau et les muscles ; aucun membre n'était paralysé, mais aucun mouvement n'était volontaire ou même contrôlé. Incapable de se tenir assise, elle ne s'exprimait qu'en riant ou en pleurant. Je vous passe les effets secondaires, comme le squelette qui se déforme à cause de la croissance des os qui ne sont pas tenus correctement par les muscles qui ne se développent pas : corset, souffrances, chirurgie...
Elle est morte peu avant son neuvième anniversaire, dans son sommeil. Son cœur, fatigué d'être le seul à fonctionner à peu près correctement dans tout ce bordel, a tout simplement décidé de lâcher l'affaire.
Dans mes lectures récentes, le Building a Bridge du père James Martin, récemment traduit sous le titre Bâtir un pont : l'Église et la communauté LGBTpar le frère Marie-Augustin LHB op, traduction publiée aux éditions du Cerf, en toute logique (le traducteur étant dominicain).
Ayant
suivi sur les réseaux sociaux la sortie de ce livre, et la polémique
qui s'en est suivie (le père J. Martin a été violemment attaqué par les
milieux conservateurs), j'étais impatiente de le découvrir. Grâces
soient rendues au traducteur qui l'a rendu possible.
Le père James Martin, américain, jésuite, est un éditorialiste régulier du magazine America (seul hebdomadaire catholique des États-Unis) et consulteur au Secrétariat pour la communication du Saint-Siège et du Vatican.
Le
propos du livre est clairement pastoral, et pour cette raison me laisse
un peu sur ma faim. Je cherche encore une réflexion plus théorique sur
l'enseignement de l'Église catholique à propos de l'homosexualité. Il
m'est extrêmement difficile de comprendre le fait même de
l'homosexualité : si, comme l'Église l'enseigne, Dieu a voulu l'altérité
sexuelle, d'où vient que des hommes et des femmes ne peuvent la vivre ?
Si cet empêchement a une origine biologique, et parce qu'il me parait
évident que l'homosexualité n'est ni le signe, ni la cause
d'une quelconque malédiction divine (expression parfaitement oxymorique
s'il faut en croire l'Église), alors comment l'expliquer ? Je regrette
qu'il soit si difficile d'exprimer cette incompréhension, quand elle est
dénuée de malveillance, dans un contexte où le militantisme des uns
rend souvent le dialogue impossible.
Dans Ne fuis pas ta tristesse,
sorte de promenade méditative sur la tristesse au sens le plus large du
terme, Emmanuel Godo a ces mots qui, pour des raisons diverses, me
rejoignent particulièrement. Ils peuvent toucher, non pas seulement "l'écrivain-de-l'œuvre-qui-ne-vient-pas" (comme il dit), mais plus largement celui qui se sent empêché d'être pleinement aligné (comme
disent les psys), faute peut-être de réussir à réaliser ce à quoi il se
sent appelé. Cette étrange et pénible insatisfaction de ne jamais
toucher son propre But, qui n'a pas de nom, mais qui paraitra si
familière à beaucoup.
Et il faut parler aussi de la tristesse des vies en attente de leur
œuvre. Des vies qui se sentent tourner en rond autour de leur fécondité.
Et comme il en faut des gestes, des projets, des entreprises, pour
essayer d'étouffer l'impression d'inachèvement. Devant chaque avancée,
chaque succès, chaque raison d'être heureux, repousser le souffle de
tristesse, feindre de ne pas ressentir la retombée de l'enthousiasme.
Pour l'écrivain, c'est le livre qui doit venir, le livre qui
contiendra la musique essentielle, le chant intérieur. Que les mots
puissent être prononcés, dits et entendus, qui sauveront sa vie. Oui,
qui la sauveront d'un étrange désastre - celui d'être passée à côté de
son œuvre.
Il lui arrive, dans des moments qu'il croit de lucidité, de penser
que tout cela n'est que chimère, il jetterait bien des briques à ce
qu'il nomme ses bulles de savon, ses mirages, ses pauvres nuages. Il
voudrait, comme tout homme, se contenter de ce qu'il a, accepter enfin
d'être ce vagabond qui passe à côté de sa vérité : il ne sera ni le
premier, ni le dernier, et à quoi bon les livres, les créations de
l'esprit, mieux vaut s'en tenir à la bonne et pauvre concrétude des
choses du monde. (...)
Il a longtemps cru que ce ne serait pas possible, qu'il ne trouverait
pas la forme, le sujet, la manière. Les livres qu'il écrivait jusque
là, il n'aurait pas pu dire qu'ils étaient mensongers, non, cela
n'aurait pas été juste, mais ils étaient des pis-aller, des œuvres faute
de mieux, par défaut. Le livre désiré, rêvé, passait à côté comme un
navire dans la nuit sans fin. (...)
Un peu plus loin, toujours dans le même chapitre, ces lignes sur le miracle qui se produit parfois, quand on rencontre un livre :
Je saisis (un peu artificiellement j'en conviens) l'occasion de l'anniversaire de la Réforme (31 octobre 1517) pour vous présenter Jean-Frédéric Oberlin, un pasteur méconnu de nos jours que j'ai redécouvert cet été en passant à Waldersbach et qui, à son échelle toute simple, a fait vivre l'Évangile qui l'animait.
Alsacien, il a vécu à la fin du XVIIIe siècle. Envoyé à 27 ans dans une vallée pauvre et très enclavée des Vosges, le Ban-de-la-Roche, Jean-Frédéric Oberlin y a vécu près de soixante années animé d'une infatigable volonté d'améliorer le sort de ses ouailles. Il ne partait pas de rien : son prédécesseur avait créé une petite école et posé quelques bases. Mais son activité inlassable s'est déployée dans de multiples directions : depuis l'aménagement des chemins jusqu'à la formation des maîtres d'école du Ban-de-la-Roche, en passant par ce qu'on appellerait aujourd'hui le "micro-crédit".