Nous parlons climat, donc températures, donc mesures de la température. J'explique aux élèves ce que sont les degrés Fahrenheit et, dans une de ces envolées qui nous saisissent parfois, je pars sur Fahrenheit 451.
"451 degrés Fahrenheit, c'est la température à laquelle brûle le papier. Fahrenheit 451, c'est un roman de science-fiction, donc qui se passe dans un futur imaginaire, où le gouvernement brûle tous les livres."
Frémissement d'excitation des élèves : ne plus être obligés de lire des livres, le rêve !
Je corrige immédiatement :
"Non, mais attention : c'est grave, c'est pour empêcher les gens de lire, donc de penser librement, par eux-mêmes."
Dans Ne fuis pas ta tristesse,
sorte de promenade méditative sur la tristesse au sens le plus large du
terme, Emmanuel Godo a ces mots qui, pour des raisons diverses, me
rejoignent particulièrement. Ils peuvent toucher, non pas seulement "l'écrivain-de-l'œuvre-qui-ne-vient-pas" (comme il dit), mais plus largement celui qui se sent empêché d'être pleinement aligné (comme
disent les psys), faute peut-être de réussir à réaliser ce à quoi il se
sent appelé. Cette étrange et pénible insatisfaction de ne jamais
toucher son propre But, qui n'a pas de nom, mais qui paraitra si
familière à beaucoup.
Et il faut parler aussi de la tristesse des vies en attente de leur
œuvre. Des vies qui se sentent tourner en rond autour de leur fécondité.
Et comme il en faut des gestes, des projets, des entreprises, pour
essayer d'étouffer l'impression d'inachèvement. Devant chaque avancée,
chaque succès, chaque raison d'être heureux, repousser le souffle de
tristesse, feindre de ne pas ressentir la retombée de l'enthousiasme.
Pour l'écrivain, c'est le livre qui doit venir, le livre qui
contiendra la musique essentielle, le chant intérieur. Que les mots
puissent être prononcés, dits et entendus, qui sauveront sa vie. Oui,
qui la sauveront d'un étrange désastre - celui d'être passée à côté de
son œuvre.
Il lui arrive, dans des moments qu'il croit de lucidité, de penser
que tout cela n'est que chimère, il jetterait bien des briques à ce
qu'il nomme ses bulles de savon, ses mirages, ses pauvres nuages. Il
voudrait, comme tout homme, se contenter de ce qu'il a, accepter enfin
d'être ce vagabond qui passe à côté de sa vérité : il ne sera ni le
premier, ni le dernier, et à quoi bon les livres, les créations de
l'esprit, mieux vaut s'en tenir à la bonne et pauvre concrétude des
choses du monde. (...)
Il a longtemps cru que ce ne serait pas possible, qu'il ne trouverait
pas la forme, le sujet, la manière. Les livres qu'il écrivait jusque
là, il n'aurait pas pu dire qu'ils étaient mensongers, non, cela
n'aurait pas été juste, mais ils étaient des pis-aller, des œuvres faute
de mieux, par défaut. Le livre désiré, rêvé, passait à côté comme un
navire dans la nuit sans fin. (...)
Un peu plus loin, toujours dans le même chapitre, ces lignes sur le miracle qui se produit parfois, quand on rencontre un livre :
Je vous livre à toutes fins utiles quelques "éléments", préparés pour
une séance de "pastorale" (à laquelle assistent des élèves qui
choisissent de ne pas aller à la messe pendant ce temps-là, parce qu'ils
ne sont pas chrétiens ou parce qu'ils ne veulent pas trop montrer
qu'ils le sont...). C'est un cycle de séances qui prend appui sur les tapisseries de la Chaise-Dieu, lesquelles sont organisées comme les Bibles des pauvres : une scène du Nouveau Testament est associée à deux scènes de l'Ancien Testament.
En théologie, l'exercice qui consiste à lire dans l'AT ce qui
préfigure le Nouveau s'appelle la typologie. C'est un exercice
passionnant car il fait ressortir une profonde cohérence entre les deux.
Puisque
le calendrier liturgique nous amène à célébrer dans peu de temps le
baptême du Christ, j'ai pris ici la tapisserie correspondante, qui
associe ce baptême au passage de la Mer Rouge. Puisque la séance
s'adresse à des non-chrétiens, je l'ai davantage orientée sur le récit
de l'Exode (plus universel) que sur le baptême de Jésus.
Je saisis (un peu artificiellement j'en conviens) l'occasion de l'anniversaire de la Réforme (31 octobre 1517) pour vous présenter Jean-Frédéric Oberlin, un pasteur méconnu de nos jours que j'ai redécouvert cet été en passant à Waldersbach et qui, à son échelle toute simple, a fait vivre l'Évangile qui l'animait.
Alsacien, il a vécu à la fin du XVIIIe siècle. Envoyé à 27 ans dans une vallée pauvre et très enclavée des Vosges, le Ban-de-la-Roche, Jean-Frédéric Oberlin y a vécu près de soixante années animé d'une infatigable volonté d'améliorer le sort de ses ouailles. Il ne partait pas de rien : son prédécesseur avait créé une petite école et posé quelques bases. Mais son activité inlassable s'est déployée dans de multiples directions : depuis l'aménagement des chemins jusqu'à la formation des maîtres d'école du Ban-de-la-Roche, en passant par ce qu'on appellerait aujourd'hui le "micro-crédit".