L'avancée en âge, puis la mort, des grands-parents, font évoluer les habitudes contractées dans l'enfance. La maison où l'on a passé ses vacances change de mains, légalement ou symboliquement, et il devient impossible de s'y rendre.
Symboliquement plus que légalement. Il n'est même pas besoin que les murs et le toit change de propriétaire au sens juridique. Parce qu'une maison, ce n'est pas seulement les murs et le toit.
Ce qui définit la propriété d'une maison, ce n'est pas tant le contrat qui établit la possession juridique, que les mille et unes petites habitudes et règles que le maître - et la maîtresse - des lieux définissent et établissent, au moment de l'acquisition (et du projet qui la motive), et au fil du temps. La vie d'une maison est faite de tous ces petits rituels : Untel se lève tôt, Unetelle fait la sieste après le repas, Tels font une partie de scrabble à cette heure délicieuse où le soleil commence à tomber, quand l'air ne pèse plus rien.
Ces petites habitudes donnent la couleur d'une maison, si bien que même en l'absence des maîtres de maison, elle reste la leur, elle reste identifiée comme "la maison des grands-parents". Si les occupants occasionnels se permettent parfois (en l'absence des maîtres des lieux) de transgresser quelques unes de ces habitudes qu'ils peuvent juger un peu absurdes, ils les acceptent néanmoins de manière générale, parce qu'elles sont celles qui font les lieux.
Vient le moment où l'avancée en âge et en maladie rend impossible que le propriétaire "en titre" revienne occuper en personne les espaces qu'il a empli de ses habitudes. Et quelqu'un transgresse une de ces habitudes, provoquant des circonstances qui vous empêchent d'y séjourner.
Il vous répond que ce n'est qu'une question de calendrier ; que vous n'avez qu'à venir à un autre moment. Mais on sent qu'il y a quelque chose de définitif dans cette transgression, que par elle il se fait propriétaire de la maison. La maison a perdu une part de son identité, elle n'est plus tout à fait "la maison des grands-parents". Et vous n'êtes plus sûr d'avoir seulement envie d'y retourner, car vous n'y retrouveriez plus ces milles rituels qui lui donnaient son âme.
Peut-être est-ce bien ainsi. Mais c'est un peu triste.
Fin d'année. Le conseiller d'éducation des 5èmes vous annonce que cet élève, qui a pourri la classe toute l'année parce qu'il s'ennuyait en cours alors qu'il rêve d'être pâtissier, a été pris aux Apprentis d'Auteuil ; il y suivra une formation professionnelle les après-midis. Le gamin est ravi.
Penser à toutes les colles et tous les avertissements de discipline qu'on s'est retenu de mettre pour ne pas charger son dossier scolaire et obérer ses chances d'être pris quelque part.
Dessin au crayon, parfois emploi du fusain, premier trimestre 2015. Le temps de pose varie (de 5 minutes à 45 minutes), il est parfois indiqué en bas à côté de la date - quand la date est elle-même indiquée !
Une conférence donnée en janvier dernier par le père Jean-Philippe Fabre au Collège des Bernardins avait pour thème cette réflexion souvent entendue, dissociant Jésus de l'Eglise. Nombre de nos contemporains affirment accepter Jésus comme un "maître à penser", mais refuser l'Eglise catholique et romaine comme institution normative.
À proprement parler, pas de grosse surprise dans cette conférence au sens où il ne faut pas attendre d'un prêtre catholique qu'il relativise, voire annule, la place de l'Église dans le dessein de Dieu. Mais sa réflexion est intéressante pour la place qu'il donne aux objections formulées.
** edit 4 juillet 2015 ** J'ai modifié cet article après m'être aperçue d'une confusion (de ma part) entre le propos du livre et celui de la relation qui en est faite par le critique américain. C'est ce dernier (et ce dernier seulement) qui fait le parallèle entre les volontaires de la division Charlemagne et les jeunes djihadistes. Le livre lui-même, paru en 2011, ne fait absolument pas mention de ces derniers. Mes excuses les plus confuses pour cette erreur liée à mon inexpérience de la revue Books (postulant que les livres recensés étaient forcément récents, je n'avais pas fait la vérification qui s'imposait pourtant...).
Dans le numéro de mars 2015 de Books, que j'ai découvert avec grand intérêt par cette livraison, est proposée une critique américaine d'un livre français : Nous avons combattu pour Hitler par Philippe Carrard, chez Armand Colin.
Le critique, Robert Zaretsky, fait à partir de la lecture de ce livre le parallèle entre les jeunes Français partis "faire le djihad" et ceux qui avaient rejoint la division S.S. "Charlemagne" (constituée de volontaires français). La révélation de l'identité, et donc du profil, de certains de ces djihadistes français a perturbé l'idée qu'on se faisait de leurs motivations. Dans l'inconscient collectif, le militant islamiste "type", en France, est forcément un descendant d'immigrés maghrébins, en mal d'identité entre une société d'origine dont il ne fait plus partie et une société d'adoption qui ne l'intègre pas. Une jeunesse passée "dans les banlieues délabrées du pays", des diplômes sans valeur, un avenir obscurci en France, et voici la radicalisation expliquée assez facilement.
Les choses sont plus compliquées, écrit Robert Zaretsky.
[les deux islamistes français apparaissant sur la vidéo de l'exécution de Peter Kassing] "sont issus de milieux relativement stables, bourgeois, et, surtout, non musulmans. Ils étaient appréciés dans leur milieu et ne s'étaient que récemment convertis à l'islam."
Comment comprendre que des jeunes a priori intégrés dans une société moderne et une vie relativement confortable puisse s'engager dans un combat tel que celui prôné par les djihadistes de Daesh ? C'est ici que le parallèle avec les motivations des volontaires de la division Charlemagne devient intéressant.