De la division Charlemagne au Djihad
Rédigé par Métro-Boulot-Catho -** edit 4 juillet 2015 ** J'ai modifié cet article après m'être aperçue d'une confusion (de ma part) entre le propos du livre et celui de la relation qui en est faite par le critique américain. C'est ce dernier (et ce dernier seulement) qui fait le parallèle entre les volontaires de la division Charlemagne et les jeunes djihadistes. Le livre lui-même, paru en 2011, ne fait absolument pas mention de ces derniers. Mes excuses les plus confuses pour cette erreur liée à mon inexpérience de la revue Books (postulant que les livres recensés étaient forcément récents, je n'avais pas fait la vérification qui s'imposait pourtant...).
Dans le numéro de mars 2015 de Books, que j'ai découvert avec grand intérêt par cette livraison, est proposée une critique américaine d'un livre français : Nous avons combattu pour Hitler par Philippe Carrard, chez Armand Colin.
Le critique, Robert Zaretsky, fait à partir de la lecture de ce livre le parallèle entre les jeunes Français partis "faire le djihad" et ceux qui avaient rejoint la division S.S. "Charlemagne" (constituée de volontaires français). La révélation de l'identité, et donc du profil, de certains de ces djihadistes français a perturbé l'idée qu'on se faisait de leurs motivations. Dans l'inconscient collectif, le militant islamiste "type", en France, est forcément un descendant d'immigrés maghrébins, en mal d'identité entre une société d'origine dont il ne fait plus partie et une société d'adoption qui ne l'intègre pas. Une jeunesse passée "dans les banlieues délabrées du pays", des diplômes sans valeur, un avenir obscurci en France, et voici la radicalisation expliquée assez facilement.
Les choses sont plus compliquées, écrit Robert Zaretsky.
[les deux islamistes français apparaissant sur la vidéo de l'exécution de Peter Kassing] "sont issus de milieux relativement stables, bourgeois, et, surtout, non musulmans. Ils étaient appréciés dans leur milieu et ne s'étaient que récemment convertis à l'islam."
Comment comprendre que des jeunes a priori intégrés dans une société moderne et une vie relativement confortable puisse s'engager dans un combat tel que celui prôné par les djihadistes de Daesh ? C'est ici que le parallèle avec les motivations des volontaires de la division Charlemagne devient intéressant.
En effet, écrit R. Zaretsky :
"Les volontaires de l'époque étaient, comme ceux d'aujourd'hui, tous jeunes et, par conséquent, impressionnables et impétueux".
Dans les deux cas, ces volontaires sont issus d'une "multitude de milieux socio-économiques" : fils d'ouvriers, fils de bourgeois, riches et pauvres se côtoient. Et surtout,
"Le fait d'être un produit de l'école républicaine française n'immunisait pas contre l'attrait de ces mouvements, pas plus hier qu'aujourd'hui."
Plusieurs raisons à cela. D'abord, l'armée allemande en 1940 était triomphante, elle apparaissait comme LA force du moment. Les succès fulgurants de Daesh depuis l'été dernier peuvent jouer ce rôle attractif. Ensuite, le parallèle est également possible entre la propagande islamiste et la propagande allemande : les vidéos de Daesh présentent un "puissant idéal masculin" (uniformes, barbes), comparé par R. Zaretsky à l'idéal aryen. Ainsi, Daesh comme l'Allemagne en 1940 aimantent des jeunes gens en soif d'aventure et de pouvoir.
Il y a de plus la dimension transcendante, quasi-mystique, du projet de l'une et l'autre entité (Daesh et nazisme) : une vision manichéenne, totalitaire, exterminatoire, séduisante dans sa simplicité :
"Qu'il s'agisse d'établir un nouveau califat sunnite ou un nouvel ordre européen, la promesse millénariste reste la même"
Les engagés de la division Charlemagne se voyaient comme des croisés contre le communisme ; le rapprochement avec le fanatisme islamiste est évident. On peut même discerner une dimension sectaire dans les deux cas : l'hostilité de l'entourage aux projets du jeune sera vue comme la preuve de leur légitimité.
Ce parallèle est donc pertinent à plus d'un titre et surtout, conclut Zaretsky, permet de tirer quelques enseignements. Le premier est de relativiser l'importance de ces engagements : "le pourcentage extrêmement faible" des volontaires de la division Charlemagne laisse penser que le contingent français dans les rangs de Daesh. sera, lui aussi, assez réduit. Après tout,
"il y aura toujours des individus sensibles aux sirènes des mouvements millénaristes qui offrent un but dans la vie, ainsi que les armes et le langage pour le poursuivre".
Cette remarque en appelle une autre : si cet engouement pour la violence nazie est resté aussi faible dans les faits, on ne peut imputer cette violence à l'anticommunisme ; de la même façon selon l'auteur, l'islam dans son ensemble n'est pas responsable des recrues de Daesh.