Le smartphone équitable existe (et il fonctionne)

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Jusqu'à une date récente (vendredi dernier, en fait), je n'avais pas de smartphone. La volonté de conserver un semblant de liberté vis-à-vis d'un appareil électronique m'a fait retarder au maximum l'adoption d'un joujou aussi addictif. J'avais toujours un vieux téléphone avec un forfait minimaliste et je m'en portais très bien.

Mais la généralisation des smartphones autour de moi rendait inéluctable ma conversion : les photos des neveux affichées sur un timbre-poste, c'est un peu frustrant tout de même. À Paris, il devient de plus en plus difficile de ne pas avoir de smartphone : par exemple, les abribus n'affichent plus le plan du réseau RATP intégral - plus moyen de composer son propre itinéraire "à l'ancienne". Et j'ai constaté durant l'été la disparition des cyber-cafés, même dans une station touristique pourtant fréquentée. (C'est là un point qui me laisse d'ailleurs perplexe : nous aurons vu un secteur d'activités apparaître, puis disparaître en moins de 20 ans. Étonnante époque).

Il y a quelques mois, quand j'ai senti approcher l'inéluctable moment, j'ai commencé à prospecter. Un des points qui nourrissaient ma réticence à l'égard des smartphones était le coût environnemental et social de la production, de l'acheminement et de l'élimination de ces petites bestioles.

Entendons-nous tout de suite : je ne suis pas, je ne prétends pas être un parangon d'écologie. Je trie très peu mes déchets, je ne me préoccupe pas vraiment de consommer bio - j'ai parfaitement conscience de participer au Problème.

Mais, depuis quatre ans maintenant que j'enseigne la géographie, je tente laborieusement de faire comprendre à mes élèves que le développement durable ne se réduit pas à la dimension écologique. Pour un géographe, qui étudie les sociétés humaines, le "dédé" intègre trois dimensions : économique, sociale ET environnementale. En gros, ce n'est pas parce que c'est écolo que c'est durable. Par exemple, un géographe ne se demande pas comment consommer moins d'électricité : il se demande comment électrifier les campagnes d'Afrique, parce que la tombée de la nuit noire à 18h05 a des conséquences sociales lourdes (sur le travail scolaire des enfants, sur les conditions dans lesquelles les soins urgents sont donnés, etc). De même, il ne s'enthousiasme pas béatement devant l'agriculture biologique : il rappelle que près d'un milliard de paysans dans le monde voudraient bien en sortir, eux, de l'agriculture biologique. Ou encore, quand les inondations se multiplient, il ne répond pas uniquement "montée des océans parce que réchauffement climatique", mais également "imperméabilisation et affaissement des sols parce que urbanisation, vulnérabilité des populations parce que littoralisation", etc. À cet égard, grâces soient rendues au Pape François qui, dans son encyclique Laudato Si, insiste bien sur la dimension humaine des inégalités de développement.

Les élèves, formatés biberonnés depuis leur enfance à l'Éducation au Développement Durable, ont bien retenu qu'il fallait jeter le papier dans la poubelle jaune. Mais ils ont tous un smartphone dernier cri, fabriqué à bas-coût, sans considération pour la nature ni pour les travailleurs. Et, vue la Pomme qui orne la plupart de leurs appareils, le prix n'est vraiment pas un problème pour mes élèves.

Je me suis donc demandée, en entamant mes recherches, s'il existait un smartphone équitable, qui aurait été produit dans le respect (autant que possible) de l'environnement et des hommes qui l'assemblent. La réponse est oui : ça existe, ça s'appelle le Fairphone.

Les composants sont extraits dans des zones exemptes de conflits ; pour l'assemblage, la société (néerlandaise) Fairphone veille aux engagements pris par les sous-traitants en matière de conditions de travail ; pour réduire les déchets, l'appareil est conçu en modules que l'on peut remplacer en cas de casse ou en vue de meilleures performances (par besoin de racheter un téléphone neuf, donc de jeter l'ancien appareil) ; dans la même optique, l'appareil est vendu sans chargeur : il se charge avec un câble micro-USB, et le site vous renvoie à vos tiroirs (on a tous, déjà, un câble de ce type chez soi). Vous voyez l'idée. L'ONG Max Havelaar a certifié les engagements de la compagnie, ce qui est a priori un gage de sérieux.

Bien sûr, ces engagements ont un coût : l'appareil (modèle unique) est vendu 525 euros. Pour ce prix-là, qu'a-t-on dans les mains ? D'après les tests (ici ou ) que j'ai pu lire : l'appareil tient sérieusement la comparaison. Seule la batterie est signalée comme une vraie faiblesse.

Je me suis décidée au bout de quelques semaines. La faiblesse de la batterie est devenue, à la réflexion, un argument d'achat : elle devrait m'inciter à ne pas passer des heures sur mon joujou. Et la modularité de l'appareil laisse espérer une amélioration sur ce point.

J'ai reçu l'appareil 48 heures après la commande. Comme il s'agit de mon premier smartphone, je ne peux pas faire de comparaison ; mais pour le moment, je ne suis pas déçue. Bien sûr, c'est un pari : on achète une promesse, à charge pour Fairphone de la tenir sur le long terme. Mais c'est un choix en cohérence avec ce que j'essaie de transmettre à mes élèves, et dans l'esprit Laudato Si. Cette seule raison justifiait bien que je fasse connaître ce "smartphone équitable"...

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