Je lisais il y a quelques temps le livre de Thérèse Hargot : Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque). Une lecture fort intéressante, bien qu'on puisse regretter un style souvent plus "oral" que "écrit" (un reproche qu'on peut souvent faire aux blogueurs qui publient des livres, d'ailleurs).
Elle y développe l'idée selon laquelle la libération sexuelle des années 70 s'est transformée en une nouvelle sujétion. Aux interdits moraux s'est substitué l'impératif du plaisir, obligation d'autant plus pernicieuse qu'elle est implicite et se pare de la plus chérie de nos valeurs : la liberté individuelle. Tout est permis, pourvu que chacun soit consentant ; et tout est normal, puisque tout est naturel. Reste à savoir à quel point le consentement d'un jeune est libre, quand on sait la pression sociale - et la pression économique de la puissante industrie pornographique - à laquelle il est soumis.
Car cet impératif a pour corollaire la pression sociale du couple. Sortir avec quelqu'un, n'importe qui plutôt que personne, au prétexte de "se faire une expérience". Et papillonner si les circonstances l'exigent (ou le permettent). Comme si pour devenir un bon violoniste, il fallait absolument avoir étudié le piano, le hautbois, la trompette, la batterie et la harpe. Et gratté un peu de guitare de temps en temps.
Il y a dans Saint Paul (1Co 6,12 et 10,23) une phrase assez étonnante : Tout m'est permis, mais tout ne m'est pas profitable. Certaines traductions proposent : tout ne m'est pas bon, ou encore tout ne m'est pas constructif.
Poser d'entrée que "tout m'est permis" (notez au passage la modernité de Saint Paul !), c'est sortir de l'opposition morale entre bien et mal, qui est délétère parce qu'elle n'est pas conforme au dessein de Dieu. Ce n'est pas dans cette opposition que Dieu a voulu que l'Homme vive. Dans le Jardin des origines, c'est l'Arbre de Vie qui était destiné à nourrir l'Homme.
Mais il y a une limite au "tout m'est permis". Ce qui m'est profitable, c'est ce qui me conduit vers la Vie. Vers la plénitude de ma vie. Et donc vers la fécondité, au sens large du terme (une vie peut être féconde de bien des manières). Mais dans tous les cas, la fécondité suppose deux composantes : une orientation vers un autre que soi-même, et une inscription dans le temps. À l'image de la pratique d'un instrument, encore une fois, qui n'a de sens que destinée à quelqu'un d'autre que soi-même et requiert une familiarité avec l'instrument qui ne s'obtient qu'avec du temps, donc de l'engagement.
Où l'on retombe dans le problème de la définition de la liberté. Dans un film étonnant, La Légende du pianiste sur l'océan, le personnage central est abandonné bébé sur un paquebot transatlantique et adopté par l'équipage ; devenu le pianiste du bord, il ne descend jamais à terre. Quand on lui demande pourquoi il reste ainsi confiné, il répond que seule la contrainte des 88 touches du piano lui donne la liberté de créer à l'infini. Un clavier infini ne le lui permettrait pas.
On n'est pas fécond quand on est dispersé : c'est d'ailleurs l'un des plus grands drames de notre condition contemporaine. Ce sera l'objet de future(s) réflexion(s).
J'ai entendu un jour un prêtre expliquer qu'il ne fallait pas penser sa vie en termes de "projets", parce qu'on est toujours en échec par rapport aux projets que l'on forme, mais en termes de "don(s) reçu(s)".
On ne peut pas vivre sans projets. Ils sont bien, d'une certaine façon, ce qui nous porte vers le futur. La vie s'abreuve de projets : professionnels ou personnels, ils manifestent les désirs qui nous animent. Ils rendent les contrariétés de la vie plus supportables.
Mais du désir à sa réalisation, il y a parfois un gouffre qui ne se comble pas. Et alors le bilan s'alourdit de regrets, de lamentations ou de culpabilité.
Avoir des projets n'est pas mauvais en soi. Mais je crois aujourd'hui que l'important, c'est que le projet ne devienne pas la mesure de la vie. Ne pas faire de l'accomplissement d'un projet la preuve, voire la condition, d'une vie réussie. Rester prêt à accueillir d'autres signes de la valeur de la vie.
Le Pape posant pour un selfie avec un représentant hindou, au terme de l'audience générale interreligieuse du 28 octobre - REUTERS
Cette photo est fabuleuse.
D'abord par ce qu'elle dit des relations interreligieuses.
Ensuite par ce qu'elle dit de l'usage du smartphone et de la pratique du "selfie".
Enfin parce que pour ces deux raisons, pour ce qu'elle dit de notre époque, la meilleure légende qu'elle puisse avoir, à mon avis, est précisément Nostra Aetate, le titre du texte dont les protagonistes fêtaient le cinquentenaire.
De nombreuses fois dans l'Evangile, et dans d'autres textes bibliques, la Parole de Dieu est comparée à une eau vive. Pour ne prendre qu'un exemple, pensons à la rencontre de Jésus et la Samaritaine au puits de Jacob (Jn 4).
Pourquoi une eau vive? L'eau, bien sûr, tout le monde comprend l'image : n'importe quel enfant sait d'expérience la nécessité de l'eau. Que la Parole de Dieu soit elle aussi un principe de vie, c'est une idée facile à comprendre.
Mais pourquoi vive?
Quand on s'installe quelque part, dans un endroit désert (et souvenons-nous toujours du contexte du peuple biblique), on a deux moyens pour avoir de l'eau :
on construit une citerne qui recueillera l'eau de pluie
on s'installe auprès d'une source d'eau vive
La citerne présente un avantage énorme : elle permet de faire des réserves. Certes, on ne maîtrise pas complètement l'approvisionnement (la pluie), mais on peut maîtriser sa consommation. On sait si l'on aura de l'eau le lendemain. La citerne, c'est avoir une certitude pour demain. En comparaison, la source peut se tarir du jour au lendemain. Elle peut être capricieuse. La source, c'est l'incertitude.
Mais le défaut, et même le danger de la citerne, c'est que l'eau y croupit. Elle peut devenir un instrument de maladie, voire de mort. En comparaison, la source est saine puisque l'eau y est constamment renouvelée.
La Parole de Dieu n'est pas simplement "de l'eau". Elle est une eau vive, toujours nouvelle, toujours actuelle. Y boire suppose de prendre le risque de ne pas savoir à l'avance ce qu'on va recevoir.
L'image de la citerne peut s'appliquer à bien d'autres domaines de la vie. Nos vies sont pleines de citernes. Je dirais même que notre société postmoderne crève de ce "syndrôme de la citerne", qui voudrait tout prévoir, tout calculer, ne rien risquer. Où sont tes citernes, à toi ?
La richesse, a écrit Amin Maalouf, ne se mesure pas aux choses que l'on possède, mais à celles dont on sait se passer. Sache avancer léger et prêt à accueillir les sources qui se présenteront sur ton chemin.
Une conférence donnée en janvier dernier par le père Jean-Philippe Fabre au Collège des Bernardins avait pour thème cette réflexion souvent entendue, dissociant Jésus de l'Eglise. Nombre de nos contemporains affirment accepter Jésus comme un "maître à penser", mais refuser l'Eglise catholique et romaine comme institution normative.
À proprement parler, pas de grosse surprise dans cette conférence au sens où il ne faut pas attendre d'un prêtre catholique qu'il relativise, voire annule, la place de l'Église dans le dessein de Dieu. Mais sa réflexion est intéressante pour la place qu'il donne aux objections formulées.