Réflexions sur la sanction

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

J'ai fait hier une petite causerie sur le thème de la sanction dans la pédagogie salésienne (c'est-à-dire pratiquée par Don Bosco et ses successeurs). C'est un thème qui m'intéresse particulièrement car, comme j'ai lu quelque part (sauf erreur dans le Collèges de France de Mara Goyet), la difficulté dans l'exercice de l'autorité consiste à être "ferme et souple plutôt que rigide et mou".

Je l'ai préparée en m'appuyant sur deux livres (inutile de dire que je ne prétends pas avoir fait le tour de la question, mais ce n'était pas mon objectif) :

En voici mon "papier". Comme cela a été remarqué par un des auditeurs, la réflexion est plus axée sur la pratique de la sanction dans le cadre de la relation individuelle (le jeune - l'éducateur) que dans celui de la gestion d'un groupe. Quand un élève transgresse une règle dans le cadre du cours, les enjeux de la sanction sont un peu différents.

Les citations en gras sont tirées des écrits de Don Bosco lui-même.

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Infliger une douleur (une privation) à un individu va en apparence contre le principe de charité. Don Bosco voulait d’ailleurs qu’on y recoure le moins possible. Mais, parce que la transgression « fait partie de la problématique de l’adolescent », la sanction doit faire partie de celle de l’éducateur.

Sanctionner un acte (=/= punir une personne) ressortit à l’éducation à la responsabilité, dès lors que cela équivaut à une obligation de réparer.

Dernière remarque préliminaire : il existe une définition positive de la sanction (un diplôme sanctionne de bonnes études). Gratifier les actes qui construisent est au moins aussi important que de faire réparer les effets de ceux qui détruisent.

Les rôles de la sanction

La sanction a deux rôles essentiels :

  • un rôle de réparation : que le jeune prenne conscience des dégâts et participe à la réparation
  • un rôle de rédemption : que le jeune puisse reprendre sa place dans le groupe, que toutes les personnes concernées par l’acte commis puissent tourner la page. C’est aussi un moyen pour le jeune de gérer sa culpabilité.

Pour cela, il est important de faire comprendre au jeune, une fois infligée la sanction, que la page est tournée ; de ne pas le laisser dans le mauvais rôle qu’il a tenu à un instant T. « Tout supérieur doit avoir deux qualités : il doit être lent à punir et très prompt à oublier. »

Qu’est-ce qu’une « bonne » sanction ?

« La punition n’est utile que dès l’instant où l’enfant en comprend l’opportunité, la nécessité. »

Pour cela, elle doit être à la fois :

  • pertinente (visiblement liée à l’acte commis, aux effets de la transgression) => ne pas punir toute transgression d’une seule manière
  • cohérente : corrélée à la gravité de la transgression

Trop de pertinence et la sanction n’a plus de sens pour le groupe (elle est trop individualisée), trop de cohérence et la sanction n’a plus de sens pour l’individu (elle est trop « automatique ») : c’est la difficulté à trouver l’équilibre entre les deux qui rend si complexe l’art de la sanction.

Dans la pratique…

Le mieux, c’est de ne pas être obligé de punir. « Punissez le plus tard possible, et après avoir tâté de tous les autres moyens »

L’encouragement est parfois le moyen le plus efficace de venir à bout d’un entêtement : en appeler à l’amour-propre de l’enfant peut suffire.

 « Pour les jeunes gens, est châtiment tout ce qu’on fait servir comme tel. C’est un fait qu’un regard glacial produit beaucoup plus d’effet sur eux qu’une gifle. Un mot de louange à qui l’a mérité, une parole de blâme à qui s’est oublié, constituent souvent une récompense et un châtiment véritables. Un des moyens les plus efficaces de correction est le regard mécontent, sévère ou attristé du maître qui, en faisant entendre au coupable - même de peu de cœur - qu’il est en disgrâce, peut éveiller son repentir. » (P. A. Auffray)

« Faites vous aimer, pour que le châtiment le plus lourd à vos disciples soit la suspension de cette amitié à laquelle ils tiennent tant. »

« Si l’avertissement suffit, n’allez pas jusqu’au reproche ; et si le reproche est suffisant, ne poussez pas plus loin. »

 

Quand il faut punir, veiller à ne pas se fermer le cœur de l’enfant, sans lequel toute formation est arrêtée ; et, pour cela, se servir de lui, de sa raison, pour châtier. Lui faire reconnaître la nécessité du châtiment.

Une règle essentielle : ne jamais humilier, ni par la parole, ni par le geste. L’humiliation nourrit la haine et le désir de vengeance. « [Les humiliations] froissent profondément les cœurs des jeunes gens, elles avilissent l’éducateur. »

1. Différer

Différer l'énoncé de la sanction par rapport au rappel de la loi (qui lui, peut intervenir immédiatement - c'est même préférable).

« Choisissez pour punir l’instant le plus favorable, qui ne sera jamais celui de la colère pour le maître, ni celui de la faute pour le coupable » : attendre d’être maître de soi-même, car c’est la raison (et non les passions) qui doit punir. Un châtiment donné trop vite est souvent excessif et mal accepté. De plus, laisser au coupable le temps de la réflexion va l’aider à lui faire sentir son tort et la nécessité de la sanction. La colère est toujours mauvaise conseillère.

2. Isoler (l’enfant)

Sauf exception, il est préférable que la réprimande ne soit pas faite en public mais en tête-à-tête. Ne serait-ce que parce qu’attendre la solitude du tête-à-tête permet de faire retomber les émotions.

3. Modérer

C’est-à-dire tenir compte de la situation du jeune, des circonstances individuelles atténuantes.

Cependant, sur ce point, Jean-Marie Petitclerc insiste sur les effets pervers d’un discours sociologique (déresponsabilisant) qui tend à excuser l’acte individuel par le contexte social.

Un facteur qui rend difficile l’exercice de la sanction aujourd'hui est le fait que l’intention est souvent avancée comme une circonstance atténuante : « je l’ai pas fait exprès ». Les enfants sont élevés dans l’idée que, dès lors qu’ils n’avaient pas de mauvaise intention, l’acte commis n’est pas vraiment mauvais. Cf. règles du foot : le tacle par derrière est lourdement sanctionné (carton rouge), même quand il est évident aux yeux de tous qu’il n’était pas volontaire. Le geste étant dangereux, on considère que la faute du joueur est de n’avoir pas calculé son mouvement de manière à ne pas blesser.

4. Clore l’incident

Une « bonne » sanction doit être bornée dans le temps. Quand l’enfant a compris, passer à autre chose.

En guise de conclusion : la sanction au carrefour des 4 vertus cardinales.

1. la Prudence

Se définit comme le choix le plus sage des moyens pour atteindre une fin.

Dans le cadre de la sanction, la Prudence permet d’éviter :

  • l’imprudence, qui ne consulte ni l’expérience des autres, ni la sienne propre ;
  • l’irréflexion, qui ne pèse aucune des conséquences possibles de cette sanction ;
  • l’impulsivité, qui va de suite excéder dans la dose ;
  • la négligence, qui laissera tout aller, n’interviendra pas par indolence, ou amour d’une paix égoïste ;
  • la versatilité, le caprice qui tantôt sévira, et tantôt ne sévira pas ;
  • le calcul humain, qui frappera pour des motifs d’intérêt, donc le dos tourné au but surnaturel du châtiment (= éduquer, c'est-à-dire participer à l'action de la grâce)

2. la Force

Se définit comme un amour endurant, tout entier pour Dieu.

Préserve chez le maître la maîtrise de soi, la douceur du propos et du geste, la patience devant l’insuccès (la récidive de l'enfant malgré la sanction).

3. la Justice

Consiste à rendre à chacun ce à quoi il a droit.

Face à la sanction, l’enfant a droit

  • au respect de sa personne et de sa jeunesse (inexpérimenté),
  • à l’égalité de traitement,
  • à l’équité du châtiment (qui doit être proportionné à la culpabilité et à la faute personnelle, miséricordieux, vite effacé).

4. la Tempérance

A pour effet de freiner les passions qui peuvent fausser l’équité d’une sanction :

  • la colère (qui pousse à l’excès),
  • l’orgueil (qui pousse à la rancune et empêche le pardon),
  • un amour excessif du métier (qui conduit à ne jamais passer aucune erreur)

Le lien entre toutes = la Charité (ou, en termes salésiens : l’amorelezza)

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