Il n'aura échappé à personne que ce blog est resté relativement passif ces deux dernières années. Au point que, ayant oublié mon code de connexion, je me suis retrouvée coincée à la porte de mon propre site quand j'ai voulu y retourner...
Une bonne raison à cela : la préparation de l'agrégation interne a trop absorbé mon énergie intellectuelle pour que je parvienne à la concentrer sur d'autres lectures ou d'autres sources d'inspiration.
À présent que tout cela est derrière moi, j'espère passer des vacances suffisamment reposantes pour retrouver quelques saines habitudes et être capable de produire un peu de réflexion. D'autant que l'évolution récente de Twitter, sur lequel je suis restée active, m'incline à retrouver un support plus serein et moins exposé.
Avec un peu de chance l'été lui-même sera fructueux, au moins sur le plan pictural.
Il est des auteurs dont le verbe, tellement ciselé qu'il en a l'air presque anodin, est si puissant qu'une seule phrase suffit à saturer votre capacité d'absorption.
Christian Bobin est de ceux-là.
C'est tardivement que j'ai ouvert un de ses livres, en tombant sur La Lumière du monde dans la bibliothèque d'un monastère. Je ne l'ai même jamais fini, parce qu'il est impossible à lire d'une seule traite. Il faut laisser à l'esprit le temps de la percolation.
Je crois vraiment qu'il en est de certains livres comme d'une personne vivante : on vit avec eux une véritable rencontre, parce qu'ils tombent juste, parce qu'ils expriment ce dont on a besoin, parce qu'on se sent soudain un peu moins seul dans l'expérience humaine.
Christian Bobin est mort, le ciel est un peu plus sombre ce soir.
Ne ratez pas l'occasion de rencontrer l'un de ses livres.
Le pari était audacieux : retracer l'histoire de Jérusalem, depuis les premiers temps de l'occupation du site jusqu'à nos jours, en bande dessinée.
Ayant une fascination particulière pour cette ville hors du commun, je ne pouvais pas manquer ce rendez-vous. Aux Rendez-Vous de l'Histoire, il nous avait été impossible d'acheter le livre en avant-première lors de la présentation par Vincent Lemire, car tous les exemplaires avaient été vendus sur le Salon du Livre. J'attendais donc avec une certaine impatience sa sortie en librairie.
Sur le fond, toutes les promesses sont tenues. Le texte, rédigé par Vincent Lemire qui fait largement référence sur le sujet, est précis, aussi complet qu'il est possible, et réussit le délicat exercice de la neutralité dans un domaine si facilement explosif. Tous les dialogues sont des citations directes des sources primaires dont l'historien est évidemment familier, et systématiquement référencées (ce qui est presque un peu fatigant parfois). On retrouve la richesse d'un précédent ouvrage de l'auteur, paru chez Flammarion en 2016 (Jérusalem, histoire d'une ville-monde). Ici un olivier sert de narrateur, qui donne une relative unité au récit. Sur ce plan-là, c'est une vraie réussite.
Je dois cependant dire que je regrette assez fortement le dessin, dont le style détonne un peu dans ce projet. Je crois n'avoir rien lu qui soit dessiné par Christophe Gaultier, et autant le dire franchement : je ne suis pas fan de ce style de dessin. J'en reconnais l'efficacité, mais je suis mal à l'aise avec cette esthétique. Ce jugement est certes subjectif, mais je crois pouvoir défendre l'idée que ce style ne correspond pas au projet, parce qu'il est trop marqué, trop personnel. D'une certaine façon, le dessin fait penser à celui de Guy Delisle ; mais ses Chroniques de Jérusalem sont un récit autobiographique, qui s'assume donc subjectif. Il n'est alors pas dérangeant que le trait soit personnel. Dans le cas de l'Histoire de Jérusalem, où le récit est impersonnel, universitaire, j'aurais vraiment préféré un style plus classique, quasiment du Jacques Martin. Sur un texte aussi académique, il fallait un dessin qui le soit aussi.
Pour cette raison, je suis, pour ma part, un peu déçue.
Histoire, 6e, chapitre sur la naissance du monothéisme juif. Les élèves ont sous les yeux une frise chronologique à partir de laquelle je brosse, à grands traits, la période post-exilique (on n'est pas supposés s'attarder mais c'est un sujet qui me botte bien ; les élèves ont donc droit à la version longue).
J'en arrive à l'invasion par les Grecs, et je précise qu'il s'agit d'Alexandre le Grand, parce que les élèves ont souvent déjà entendu parler de lui. Un élève, très timide mais ce jour-là en verve, ose lever la main. De famille turque, il s'exprime sans accent mais il a très peu de vocabulaire et est souvent arrêté par des termes très simples.
"Madame, Alexandre le grand, on l'appelait comme ça parce qu'il était grand ?" (en taille)
S'autoriser seulement un léger sourire. Je prends la précaution de préciser même que ce n'est pas non plus son nom de famille (comme Léonard n'est pas le fils de Monsieur et Madame de Vinci, autre grand classique). Et j'explique qu'Alexandre doit ce surnom au prestige qu'il a gagné par ses victoires.
Nous poursuivons, et je me retrouve à parler de Hérode le Grand.
"Madame, Hérode le grand aussi il a eu des grandes victoires ?"
... Alors, non, pas lui en fait.
Prise au dépourvue, je m'en sors en expliquant que c'est surtout pour le distinguer de ses fils (c'est plutôt en raison de sa mégalomanie mais je n'y ai pas pensé sur le moment).
Nous sommes au début des années 2000. J'ai une vingtaine d'années, je n'ai jamais été (et c'est toujours le cas) concernée de près par une affaire d'abus sexuel dans l'Église. Je sais que ça existe, bien sûr, il y a forcément des brebis galeuses ; mais je ne m'en préoccupe pas davantage, pourquoi le ferais-je ?
Je discute avec un prêtre. À l'époque il vient d'être nommé aumônier d'un établissement scolaire : rien d'extraordinaire, c'est déjà ce qu'il est alors, dans un autre établissement. Depuis deux ans.
Deux ans, c'est très court pour une mission de prêtre ; en général un aumônier scolaire reste en place au moins cinq ou six ans.
Il me raconte sa réaction lorsque son évêque lui a annoncé qu'il changeait d'affectation, au bout de deux ans donc : "Qu'est-ce qui se passe ? J'ai touché une petite fille ou quoi ?"
(ce n'était pas du tout le cas)
Sur le moment, je n'ai pas réagi, mais je me rappelle avoir ressenti immédiatement un malaise. Qu'il se soit d'abord inquiété d'avoir été accusé montrait qu'il avait, à l'époque, complètement intériorisé que déplacer en urgence un prêtre accusé était, dans l'Église catholique, une manière habituelle de traiter le "problème".
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Depuis deux jours, je m'interroge sur mon absence de réaction. Il y a certainement une lenteur de mon esprit, quand je me sens mal à l'aise dans une situation, pour analyser ce malaise. Il est très possible que je n'aie pas réussi immédiatement à mettre des mots dessus.
Peut-être aussi ne me suis-je pas, sur le moment, sentie libre d'exprimer ce malaise, même si je sais aujourd'hui qu'il l'aurait parfaitement entendu, et aurait sans doute admis que sa réaction révélait bel et bien un problème systémique.
Mais je ne peux pas m'empêcher de me dire que, probablement, moi-même, j'avais intériorisé ce fonctionnement de l'Église, et que je comprenais qu'il se soit immédiatement demandé s'il avait été accusé.
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Comme fidèles, on aimerait pouvoir se dire que la responsabilité dans ce désastre n'est pas la nôtre, que c'est l’institution qui a failli, que c'est au clergé de se réformer.
Oui bien sûr, des réformes sont absolument nécessaires et les évêques ont intérêt à se montrer à la hauteur du travail mené par la CIASE, s'ils ne veulent pas perdre le "petit reste" qui ne partira pas, malgré le dégoût.
Mais la première réforme à mener, c'est de reconnaître, comme l'écrit Pierre-Alain Lejeune dans ce très beau billet, que même non-coupables nous ne sommes pas innocents. Notre faute collective est de n'avoir pas "capté les signaux faibles", comme dit Jean-Marc Sauvé.
Dans les témoignages de victimes publiés avec le rapport, l'une d'entre elles dit "l'idolâtrie de l'Eglise, c'est le péché originel" ; je trouve cette expression très frappante et très juste. Elle me restera longtemps en mémoire.
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Seigneur, nous ne savons pas dans quel état l'Église ressortira de tout cela. Mais garde-nous dans la confiance et la certitude que la Vérité nous rendra libres, et donne nous le courage d'aller où Tu veux nous conduire.
Où le péché a abondé, la grâce a surabondé (Rm 5, 20).