Est-il permis de critiquer Simone Veil ? Les quelques "twittos" qui l'ont fait ont rapidement et vertement été "recadrés". Si admirative que je sois d'une personnalité aussi exceptionnelle, cette unanimité imposée a tendance à m'indisposer.
Parce qu'elle fut victime de la barbarie nazie, parce que son nom est attaché à ce qui est aujourd'hui considéré comme un droit sacré des femmes, sa canonisation médiatique a été immédiate - et la canonisation républicaine (aka "panthéonisation") pourrait suivre rapidement.
Évidemment, ces critiques sont indécentes dans leur agenda. Quand une personne vient de mourir, le temps est traditionnellement aux hommages, ou au moins au silence.
Elles sont aussi, le plus souvent, indécentes dans leur formule. Imputer à Simone Veil l'ensemble des avortements qui se pratiquent chaque année depuis 1975, c'est absurde ; faire le rapprochement avec l'Holocauste dont elle connaissait bien mieux la réalité que ceux qui le lui rappellent, c'est indécent.
Je voulais finir le propos de mon dernier billet en vous parlant de deux autres lectures, extrêmement intéressantes, sur le thème de l'islam et de sa situation actuelle.
Comprendre l'islam- sous-titré Ou plutôt : pourquoi on n'y comprend rien - du frère (dominicain) Adrien Candiard n'est pas seulement un livre. C'est un bien de salut public. L'intérêt tient autant à sa clarté toute pédagogique qu'à l'équilibre du propos, qui jamais ne verse dans la réduction - et encore moins dans la condamnation. On sent à le lire toute la sérénité de l'érudit à qui la fréquentation des personnes a appris la complexité de la réalité. Evitant aussi bien l'aridité d'une étude sèche des textes que la noyade dans une "tolérance" mièvre et finalement insignifiante, il expose clairement et simplement les faits dans leur épaisseur.
Ces derniers mois, j'ai consacré une part importante de mon temps "lectures" au monde arabo-musulman, pour essayer de comprendre (un peu) la situation actuelle. Je n'avais pas de bibliographie pré-établie, elle s'est constituée au fil de l'eau, au gré de mes découvertes en bibliothèque et sur Internet.
J'ai commencé par Les identités meurtrières d'Amin Maalouf. Bien qu'écrit il y a près de 20 ans, ce petit essai est d'une actualité incroyable.
Jusqu'à une date récente (vendredi dernier, en fait), je n'avais pas de smartphone. La volonté de conserver un semblant de liberté vis-à-vis d'un appareil électronique m'a fait retarder au maximum l'adoption d'un joujou aussi addictif. J'avais toujours un vieux téléphone avec un forfait minimaliste et je m'en portais très bien.
Mais la généralisation des smartphones autour de moi rendait inéluctable ma conversion : les photos des neveux affichées sur un timbre-poste, c'est un peu frustrant tout de même. À Paris, il devient de plus en plus difficile de ne pas avoir de smartphone : par exemple, les abribus n'affichent plus le plan du réseau RATP intégral - plus moyen de composer son propre itinéraire "à l'ancienne". Et j'ai constaté durant l'été la disparition des cyber-cafés, même dans une station touristique pourtant fréquentée. (C'est là un point qui me laisse d'ailleurs perplexe : nous aurons vu un secteur d'activités apparaître, puis disparaître en moins de 20 ans. Étonnante époque).
Il y a quelques mois, quand j'ai senti approcher l'inéluctable moment, j'ai commencé à prospecter. Un des points qui nourrissaient ma réticence à l'égard des smartphones était le coût environnemental et social de la production, de l'acheminement et de l'élimination de ces petites bestioles.
Constitué essentiellement d'illustrations (Grande Muraille de Chine, Mur d'Hadrien, de Berlin, frontière Mexique-USA...), cet article montre que les barrières physiques n'ont jamais empêché les hommes de passer : "L'histoire du monde est remplie d'exemples d'ingénierie contrariée par des amateurs déterminés".
Non seulement les murs sont (au mieux) rarement aussi efficaces que le voudraient leurs promoteurs, mais en plus (et au pire) leur impact négatif dans la conscience collective est profond et durable. On le sent particulièrement en Cisjordanie, où la "barrière de sécurité" construite par Israël est une déchirure béante dans l'histoire de la Terre sainte.
Outre les difficultés pratiques qu'elle pose aux Palestiniens, elle est la source d'une humiliation quotidiennement ravivée : aux check-points, ce sont souvent des jeunes (en service militaire), peu expérimentés "à l'école de la vie", élevés dans la peur de l'Arabe et du Terroriste, qui fouillent sans ménagement des Palestiniens parfois trois fois plus âgés qu'eux.
Pire encore, la séparation entre les deux sociétés (palestinienne et israëlienne) est dramatique. Il y a deux ans, j'ai assisté à une conférence du père Faysal Hijazen, Directeur général des écoles du Patriarcat latin en Israël et dans les Territoires palestiniens (après avoir, durant l'été, participé à un camp d'été du Réseau Barnabé). Une anecdote m'avait particulièrement frappée. Durant des vacances scolaires, il accepte qu'une division de la police palestinienne stationne quelques jours dans une école, vide. Le lendemain, une petite fille de 6 ans vient le voir en courant : "Abouna, il y a des juifs dans l'école !" Ils portaient un uniforme : pour cette petite fille, il ne pouvait s'agir que de "juifs", puisqu'elle ne voyait d'Israëliens qu'aux check-points. Une génération entière de Palestiniens n'a jamais vu d'Israëlien autrement qu'en uniforme.
C'est facile de construire un mur physique. C'est bien plus difficile d'abattre les murs mentaux et psychologiques qu'il a produit.
Et si en plus il n'empêche pas les hommes de passer...