Catégorie : Bloc-notes

Ici des réflexions générales sur la vie, le monde, et le bruit des pâtes trop cuites.

(Je vous jure : les pâtes trop cuites font un "chluiiirrrrrp" caractéristique)

Islam, islams

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Je voulais finir le propos de mon dernier billet en vous parlant de deux autres lectures, extrêmement intéressantes, sur le thème de l'islam et de sa situation actuelle.

Comprendre l'islam - sous-titré Ou plutôt : pourquoi on n'y comprend rien - du frère (dominicain) Adrien Candiard n'est pas seulement un livre. C'est un bien de salut public. L'intérêt tient autant à sa clarté toute pédagogique qu'à l'équilibre du propos, qui jamais ne verse dans la réduction - et encore moins dans la condamnation. On sent à le lire toute la sérénité de l'érudit à qui la fréquentation des personnes a appris la complexité de la réalité. Evitant aussi bien l'aridité d'une étude sèche des textes que la noyade dans une "tolérance" mièvre et finalement insignifiante, il expose clairement et simplement les faits dans leur épaisseur.

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Identités meurtries

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Ces derniers mois, j'ai consacré une part importante de mon temps "lectures" au monde arabo-musulman, pour essayer de comprendre (un peu) la situation actuelle. Je n'avais pas de bibliographie pré-établie, elle s'est constituée au fil de l'eau, au gré de mes découvertes en bibliothèque et sur Internet.

J'ai commencé par Les identités meurtrières d'Amin Maalouf. Bien qu'écrit il y a près de 20 ans, ce petit essai est d'une actualité incroyable.

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Le smartphone équitable existe (et il fonctionne)

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Jusqu'à une date récente (vendredi dernier, en fait), je n'avais pas de smartphone. La volonté de conserver un semblant de liberté vis-à-vis d'un appareil électronique m'a fait retarder au maximum l'adoption d'un joujou aussi addictif. J'avais toujours un vieux téléphone avec un forfait minimaliste et je m'en portais très bien.

Mais la généralisation des smartphones autour de moi rendait inéluctable ma conversion : les photos des neveux affichées sur un timbre-poste, c'est un peu frustrant tout de même. À Paris, il devient de plus en plus difficile de ne pas avoir de smartphone : par exemple, les abribus n'affichent plus le plan du réseau RATP intégral - plus moyen de composer son propre itinéraire "à l'ancienne". Et j'ai constaté durant l'été la disparition des cyber-cafés, même dans une station touristique pourtant fréquentée. (C'est là un point qui me laisse d'ailleurs perplexe : nous aurons vu un secteur d'activités apparaître, puis disparaître en moins de 20 ans. Étonnante époque).

Il y a quelques mois, quand j'ai senti approcher l'inéluctable moment, j'ai commencé à prospecter. Un des points qui nourrissaient ma réticence à l'égard des smartphones était le coût environnemental et social de la production, de l'acheminement et de l'élimination de ces petites bestioles.

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Murs

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Le New York Times propose un article étonnant sur ce que l'histoire nous apprend à propos des murs, qui ont une fâcheuse tendance à se multiplier dans le monde depuis quelques années (cf. Courrier International : Murs, barrières, clôtures : comment le monde se referme, 24/09/2015).

Constitué essentiellement d'illustrations (Grande Muraille de Chine, Mur d'Hadrien, de Berlin, frontière Mexique-USA...), cet article montre que les barrières physiques n'ont jamais empêché les hommes de passer : "L'histoire du monde est remplie d'exemples d'ingénierie contrariée par des amateurs déterminés".

Non seulement les murs sont (au mieux) rarement aussi efficaces que le voudraient leurs promoteurs, mais en plus (et au pire) leur impact négatif dans la conscience collective est profond et durable. On le sent particulièrement en Cisjordanie, où la "barrière de sécurité" construite par Israël est une déchirure béante dans l'histoire de la Terre sainte.

Outre les difficultés pratiques qu'elle pose aux Palestiniens, elle est la source d'une humiliation quotidiennement ravivée : aux check-points, ce sont souvent des jeunes (en service militaire), peu expérimentés "à l'école de la vie", élevés dans la peur de l'Arabe et du Terroriste, qui fouillent sans ménagement des Palestiniens parfois trois fois plus âgés qu'eux.

Pire encore, la séparation entre les deux sociétés (palestinienne et israëlienne) est dramatique. Il y a deux ans, j'ai assisté à une conférence du père Faysal Hijazen, Directeur général des écoles du Patriarcat latin en Israël et dans les Territoires palestiniens (après avoir, durant l'été, participé à un camp d'été du Réseau Barnabé). Une anecdote m'avait particulièrement frappée. Durant des vacances scolaires, il accepte qu'une division de la police palestinienne stationne quelques jours dans une école, vide. Le lendemain, une petite fille de 6 ans vient le voir en courant : "Abouna, il y a des juifs dans l'école !" Ils portaient un uniforme : pour cette petite fille, il ne pouvait s'agir que de "juifs", puisqu'elle ne voyait d'Israëliens qu'aux check-points. Une génération entière de Palestiniens n'a jamais vu d'Israëlien autrement qu'en uniforme.

C'est facile de construire un mur physique. C'est bien plus difficile d'abattre les murs mentaux et psychologiques qu'il a produit.

Et si en plus il n'empêche pas les hommes de passer...

Seuls ensemble

Rédigé par Métro-Boulot-Catho -

Nous manquons d'un rêve commun.

C'est la réflexion que je me fais ces derniers temps, alors que les actualités françaises montrent un pays bien déchiré.

Nous ne manquons pas de rêves. Mais ils sont individuels, comme est individualiste notre société. Le paradoxe, c'est que ces rêves peuvent être très altruistes, et je suis sûre que beaucoup de ceux qui, avec une générosité admirable, s'engagent au service des autres avec l'ambition sincère de "changer le monde", trouveront mon propos peut-être partiel.

Mais je maintiens que la société française manque d'un projet commun. Cette idée m'avait frappée au soir du premier tour des élections de 2002, dont le résultat montrait d'abord l'échec des "partis de gouvernement" à faire rêver les électeurs.

Aujourd'hui nous vivons dans une société qui ne se reconnait plus dans aucun projet collectif. Une société qui ne peut que répéter comme une vaine incantation l'impératif du "vivre-ensemble" parce qu'elle ne vit plus aucun "construire-ensemble".

Dans un article paru en 2010 dans la revue Esprit ("Tout va plus vite et rien ne change : le paradoxe de l'accélération", à propos d'un ouvrage de Harmut Rosa), le philosophe Michael Foessel écrivait (en gras, c'est moi qui souligne) :

Alors que la vitesse du changement social, au début de la modernité, était intergénérationnelle, elle tend aujourd'hui à devenir intra-générationnelle. C'est pourquoi nous vivons dans un monde où il est si difficile d'être contemporains les uns des autres. Les conditions de l'expérience varient tellement (non seulement entre "jeunes" et "vieux", mais aussi entre ceux que dix ans d'âge séparent), que ce n'est plus seulement l'autorité ou le sentiment de la dette [morale, à l'égard des générations précédentes] qui deviennent problématiques, mais la conviction de vivre dans le même monde. C'est pourquoi l'un des aspects les plus caractéristiques du présent est la "non-simultanéité du simultané" : la découverte généralement attristante qu'une éternité sépare les générations.

Le point de rupture est atteint lorsque la diversification des espaces d'expérience se répercute au niveau des horizons d'attente. La désynchronisation des vécus et des désirs explique pourquoi le futur devient opaque du fait de la variété infinie des attentes qui portent sur lui.

Une communauté a besoin, pour se souder, d'une expérience partagée et d'un projet collectif. L'expérience partagée nourrit des références communes (les mêmes poèmes appris à l'école, les mêmes loisirs, les événements politiques ou sportifs vécus ensemble car connus par les mêmes canaux d'information, etc.). Les générations montantes n'ont plus d'expérience collective assez forte, et mes élèves, Parisiens issus de classes sociales très favorisées (sur le plan financier au moins), ne vivent plus sur la même planète que les enfants de province ou ceux de banlieue. Ils n'ont plus les mêmes références, car la multiplication des expériences possibles, ainsi que des informations (et sources d'informations), rend celles-ci moins aptes à rassembler.

Et nous n'avons déjà plus de rêve commun : les grandes idéologies se sont effondrées et ce n'est pas la mondialisation libérale qui nous en donnera, elle qui atomise les communautés en démultipliant les parcours de vie. Plus profondément, dans l'article déjà cité, Michael Foessel poursuit :

Si la mondialisation constitue une rupture qualitative par rapport au projet initial de la modernité, c'est parce qu'elle marque le triomphe du temps réel sur toute autre dimension de l'existence. [...] La perception du temps suppose l'existence de quelque chose de permanent dans l'espace.

[Notez, entre parenthèses, que c'est bien la force de la liturgie catholique que d'être précisément permanente dans l'espace (et dans le temps), comme je l'avais déjà écrit il y a quelques années]

Ce "quelque chose de permanent" est la base de références communes dont j'ai parlé plus haut. C'est bien leur perte qui nous abstrait du temps, et par là ferme la possibilité du rêve.

Car pour avoir des rêves, il faut pouvoir percevoir un futur. Pessimistes ou optimistes, nous nous faisons tous, plus ou moins, une idée du futur ; elle nous semble, à chacun, plus ou moins attirante. Mais les points d'attraction sont différents pour chacun ; pour le dire autrement, chacun a une idée différente de ce qui peut nous donner envie d'être demain. Mille projets altruistes ne font pas un rêve commun.

C'est de ce dernier que nous manquons.

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